Chronique

Der Verboten

Der Dritte Treffpunkt

Frantz Loriot (vla), Cédric Piromalli (p), Antoine Chessex (ts), Christian Wolfarth (perc)

Label / Distribution : Clean Feed

Avant même d’écouter le disque, partager l’enthousiasme de Fabien Simon, directeur du festival Météo de Mulhouse dans les notes de pochettes laisse augurer de belles choses. Elles racontent l’histoire d’un concert parfait dans sa réalisation comme dans sa pérennité, avec toutes les bonnes fées de la musique improvisée autour de son berceau : A l’Improviste, l’indispensable émission d’Anne Montaron sur France Musique, Clean Feed, le label portugais auquel cette scène doit tant. Et les quatre musiciens de Der Verboten qui proposèrent à l’été 2016 une prestation d’une exceptionnelle intensité. A commencer par l’altiste Frantz Loriot, en résidence lors de ce festival, tout en effleurement, en exploration du moindre atome réactif de ses cordes, fort soucieux de dialoguer avec ses compagnons, le déferlement que l’on a pu connaître avec Natura Morta en moins.

L’altiste s’est entouré de musiciens en provenance des points cardinaux de la musique non calibrée : Cédric Piromalli, d’abord, loin de ses repères monkiens qui disparaissent dans les entrailles lestées d’objets de son piano. Antoine Chessex au saxophone, dont la rigueur marquée par la musique écrite occidentale contemporaine est la colonne vertébrale de ce projet. Christian Wolfarth enfin, percussionniste suisse, manifestement le plus en proximité avec Loriot dans l’approche de son instrument, omniprésent et pourtant évanescent, en suspension tel un gaz rare. La convergence est le maître mot de ce point de rencontre. Durant les 40 minutes du concert, d’une traite, sans autre mise en place que la volonté d’abandonner les confins pour se masser au centre, chaque improvisateur tente de s’approprier le langage du voisin, le comprendre, le rendre universel. Il ne s’agit jamais d’une imitation ou d’une bousculade à celui qui aura la meilleure place. Lorsque l’alto à cordes se confond avec le ténor à anches, c’est pour mieux densifier une coalition de sons bruts que les basses du piano viennent délicatement éroder avec un écho proche d’une cymbale doucement frottée sur la peau sensible d’un tambour. Point de rencontre : un endroit réputé visible et dépourvu de danger où l’on vient se rassembler pour s’extirper du chaos. On entend une chose murmurer, voire s’emparer fugacement de l’auditeur à l’orée du dernier tiers du concert, dans une soudaine rage, un retour de flamme. C’est le silence qui l’accueille, pesant comme une chape sur des matières toxiques. Il se teinte peu à peu de timbres nouveaux et catalyse l’attention.

Tout va très vite avec Frantz Loriot. Il y a une poignée de mois, il n’était qu’une rumeur entendue par le cénacle des initiés, une comète qu’un solo sans concessions avait propulsée dans la longue liste des musiciens à suivre avec intérêt. En s’alliant avec Cédric Piromalli pour faire ce brillant pas de côté, il démontre à quel point il est capable de sortir de sa propre grammaire. Il n’est pas question de quitter sa zone de confort, il convient d’en recréer une ailleurs, puisque partout cela semble possible. Der Dritte Treffpunkt est (comme les germanistes l’auront relevé), le troisième point de rencontre circonscrit par Piromalli et Loriot. Les précédents, avec des improvisateurs différents, gardaient le même axe formel, celui de la convergence. Si Der Verboten qui a interpellé, c’est que cet échange tient de l’orfèvrerie. Un ouvrage comme seule la musique improvisée sait nous en offrir…