Chronique

Didier Labbé quartet

O grito do passarinho

Didier Labbé (fl, ss, as, appeaux), Grégory Daltin (acc.), LaurentGuitton (tuba), Alain Laspeyres (d)

Label / Distribution : Klarthe Records

L’écho que le quartet de Didier Labbé donne, dans cet album, à la musique d’Hermeto Pascoal est le dernier épisode d’une histoire commencée il y a près de trente ans. En effet, en 1987, le festival de jazz de Colomiers – maintenant disparu – avait programmé le poly-instrumentiste brésilien. Didier Labbé jouait le même jour au sein de Fractal, un quartet de saxophones, dans le cadre d’un after. Hermeto Pascoal s’est alors joint à la formation pour une jam session à l’issue de laquelle il lança une invitation à venir jouer à Rio. Elle ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd puisque Didier Labbé effectua deux séjours, en 1990 et 1991, au Brésil. Il monta ensuite un projet avec la Compagnie Messieurs Mesdames – une formation de douze musiciens – pour lequel Hermeto Pascoal écrivit la musique ou réarrangea certaines de ses compostions. Le projet fut mené à terme et joué dans le cadre de Jazz sur son 31 et Jazzèbre.

Entre ces débuts et l’album qui vient de sortir, la longue parenthèse n’a pas été inoccupée puisque le quartet de Didier Labbé, à l’initiative de Rio Loco, a notamment réalisé un premier « écho », en l’occurrence à la musique d’Abdullah Ibrahim. Le format était donc déjà éprouvé. Il ne restait plus – si je puis dire – qu’à y faire « entrer » la musique d’Hermeto Pascoal. Ce qui est enfin gravé sur cet album. Mais le choix sémantique n’est pas neutre et on interrogera, nécessairement, le terme « écho » puisqu’on comprend qu’il est programmatique. Pour le saxophoniste toulousain, la réponse est évidente : il s’agit d’une source d’inspiration ou, mieux encore, d’un prétexte pour écrire – et jouer – sa musique avec celle d’un autre en tête. Une conception de l’écriture musicale qui laisse envisager beaucoup de perspectives dont les premières mesures de « Paradoxe hermétique » constituent une excellente illustration : à Hermeto Pascoal, qui crée de la musique en manipulant divers objets, répond Didier Labbé qui ouvre cet album en jouant des appeaux. D’où le titre d’ailleurs du disque O grito do passarinho, soit « le cri de l’oiseau », qu’illustre le beau visuel réalisé par Ronald Curchod. Si l’usage d’appeaux vient en écho à la musique d’Hermeto Pascoal, le fait que le saxophoniste joue majoritairement sur cet album de la flûte est lui aussi plein de sens. Peut-être parce qu’il s’agit du premier instrument d’Hermeto Pascoal ? En tout cas, on en conviendra aisément, la démarche en écho est à la fois conceptuelle et esthétique.

On trouve en clôture du disque trois compositions d’Hermeto Pascoal dont le célébrissime « Bebe » qui figurait déjà dans le répertoire du duo que Didier Labbé mène avec Grégory Daltin. Or, le thème écrit par Alain Laspeyres pour « Paradoxe hermétique » est conçu comme celui de « Bebe ». Même phrases qui virevoltent et même succession nerveuses de notes. Le parallèle est flagrant. Parallèlement, on note que « Bebe » est en 4/4 alors que « Paradoxe hermétique » est en 11/8. Peut-être est-ce un clin d’œil au fait qu’Hermeto Pascoal s’est intéressé aux mesures asymétriques ? Quoi qu’il en soit, le quartet a longtemps travaillé sur les musiques des Balkans et est donc complètement familiarisé avec ce type de métrique.

Parmi les dix pistes qui constituent cet album, on notera volontiers que « De brique et de broc », composition écrite par Grégory Daltin, est un détournement malicieux des sons qui sifflent, crissent, percutent. Dans la veine de ce que fait Pulcinella soit dit en passant. Le parti pris « bruitiste » est, là encore, un élément de ce fameux écho à l’usage qu’Hermeto Pascoal fait de divers objets pour créer sa musique. D’ailleurs la revisite – on ne peut parler de reprise ici – d’« Aline Frevando » débute ainsi avant de se transformer subitement en une grande fête puis qu’un chorus de batterie ne vienne conclure cette transe. L’esthétique est rarement austère sinon sur « Why Not ». Le plus souvent, il y a une touche extravagante, en témoigne entre autres « Sbes », un morceau au groove terriblement efficace qui permet aux solistes de s’envoler, ou encore « Quiproquo » où la flûte chemine avec le tuba de Laurent Guitton. Ce même tuba qui conclut en un chorus barrissant dans le ton et tonitruant dans la déclamation.

L’écho à la musique d’Hermeto Pascoal que propose le quartet de Didier Labbé est très riche. Le travail y est en effet systémique car le mélange de tous les éléments techniques, emblématiques et plastiques fabriquent cet écho et, derrière le résultat artistique délicieux, la réflexion est fourmillante.