Chronique

Didier Petit

D’accord

Label / Distribution : Rogue Art

Il s’est passé 18 ans depuis Déviation, les trois premières faces de violoncelle seul de Didier Petit. Dix-huit années qui ont conduit à ce D’accord, respectivement 7e, 8e et neuvième volet d’une œuvre qui peut s’écouter indépendamment mais aime à respecter une certaine progression. Comme dans les précédentes productions (on pensera à Don’t Explain paru il y a déjà 9 ans…), D’accord a une forte dimension autobiographique, davantage journal intime au long cours que récit de voyage. Certes, il conte la rencontre fondatrice du violoncelliste avec l’Asie dans le remarquable « Le Printemps se lève à l’Est », où la précision microtonale de l’instrument laisse rêveur ; mais c’est sous l’angle du ressenti. L’orientalisme est très présent dans ces parties qui s’éloignent de l’horizon étasunien à mesure que Didier Petit prend de l’altitude. Elles mènent aux étoiles, jusqu’aux « Sons de la Lune » qui évoquent, sans surprise, les Voyageurs de l’Espace.

Rêveur, D’accord l’est pleinement. Mais pas au sens des chimères de Déviation, pas les évasions de l’enfance ; D’accord contient les faces de l’âge adulte, d’une certaine forme d’accomplissement qui rend impétueux (« Paysage » dans la septième, anticipant la rythmique délicate de l’archet au cœur des « Danses au Clair Obscur ») mais aussi nostalgique (« Humeur d’une Nuit »). Ce n’est pas la mélancolie du passé. C’est la vision d’un musicien entier qui a pris tous les risques, qui tient son violoncelle comme d’autres un gouvernail et regarde le temps écoulé avec un sentiment d’accomplissement : pas de ceux qui font qu’on s’endort, mais plutôt de ceux qui donnent envie de voir plus loin, à l’image du tellurique « Le Feu de la Terre » qui précède un puissant et personnel « What a Wonderful World » psalmodié en guise de conclusion. Plus que jamais, la voix humaine et l’instrument dont elle est si proche sont imbriqués jusqu’à la symbiose. On imagine que le livret luxueux [1] de ce disque paru chez RogueArt fait la part belle aux souvenirs, aux parcours, aux rencontres, aux instants de 50 ans d’amitié avec le violoncelle à la « diversité sonore à faire pâlir certains électroacousticiens » dit il dans un texte qui accompagne l’album.

Plus posés et canalisés que les six premiers chapitres, ils ne prennent pas de détours. Vers les nues, principalement, puisque la Lune était le voyage de rêve de Déviation et que dans l’avion Zéro Gravité du CNES, le violoncelliste a tutoyé les astres. Est-ce cet abandon de repères terrestres, cette légèreté qui a transformé Didier Petit ? « Je suis différemment le même » dit-il un peu plus loin. On ne peut que l’approuver : il y a une quiétude qui englobe ce disque. Elle provient de l’archet qui replonge vers les graves, comme s’il regagnait la bonne vieille terre ferme avec la douceur d’une plume. D’accord peut bien nous annoncer que la neuvième est la dernière face, il ne s’agit en rien d’un bilan. C’est la fin d’un voyage, le retour d’Ulysse au bercail fort de ses aventures et d’une sagesse nouvelle. Prêt à repartir ailleurs, prêt à repousser plus loin les frontières de l’imaginable.

par Franpi Barriaux // Publié le 22 avril 2018
P.-S. :

[1Non disponible dans l’envoi presse.