Chronique

Die Glorreichen Sieben

Keep On Rockin’ In A Free World : A Tribute To Neil Young

Kalle Kalima (g), Flo Götte (b), Christian Lillinger (dms), Alfred Vögel (dms).

Label / Distribution : Boomslang Records

Étonnant ce qui peut préluder au choix d’un album à chroniquer, en l’occurrence le nom du groupe et l’hommage à une icône du rock. Deux raisons pour se laisser tenter…

Voici un quartet de jazz free, qui, bien qu’allemand, a pris comme titre celui du western flamboyant de John Sturges The Magnificent Seven [1], traduit en français par Les sept mercenaires. Il semble que le label Boomslang s’intéresse aux musiques de films et aux westerns en particulier, le précédent album s’inspirant de Pendez-les haut et court. Le groupe rend ici hommage au monde étrange de Neil Young, une des plus grandes figures vivantes du rock, qui a toujours été différent - d’une différence irréductible.

La pochette se veut loin de la vanité et de l’artifice du rock, et les notes de lecture, sobres elles aussi, donnent des indications pour suivre les titres choisis dans l’immense discographie du « Loner » canadien. On reconnaît vite les mélodies originales. Mais la musique de Neil Young est si « parfaite » qu’on ne peut que la (re)jouer, en cédant au plaisir de se laisser porter. Sublime, mélancolique, elle étire le temps et la nostalgie (« Heart Of Gold »). Certes, « Ready For the Country » s’emballe et change un peu la donne, la version « princeps » étant nettement plus courte sur Harvest (1972), le plus gros succès commercial de Neil Young, où tout reposait sur une lenteur moelleuse [2]. Incontestablement, les quatre musiciens jouent très bien, la guitare du Finnois Kalle Kalima et la basse de Flo Götte s’accordent au style de l’original (« After The Goldrush »), en s’abandonnant à la douceur paresseuse du folk.

Neil Young s’appuyait sur son Crazy Horse - le pur-sang du groupe de rock - pour cracher un torrent de notes enflammées et d’accords incandescents. Cet hommage, quant à lui, sonne comme si les musiciens étaient bien plus que quatre : deux batteurs, dont Alfred Vogel, à l’origine du label Boomslang, et Christian Lillinger, qu’on a pu entendre entre autres sur le Lucky Prime de Pascal Niggenkemper Vision 7, se partagent le travail de propulsion, tandis que Kalle Kalima s’épanche à l’infini, lardant d’accords, parfois volontairement approximatifs, les chants blafards du cheval d’orgueil du rock, qui a si bien su imposer un style « sale ».

Un des titres les plus étonnants est « Rockin’ In The Free World » (Freedom, 1989) - « the first true alternative song », lit-on - fort bien déstructuré. Mais même sur ce titre, ou sur le cultissime « Like A Hurricane » qui suit, ceux qui ont beaucoup écouté Neil Young n’y verront pas matière à étonnement, parce que ce dernier a lui-même donné la version la plus déglinguée de sa musique dans l’extraordinaire BO de Dead Man, le film onirique du dandy Jim Jarmusch. Difficile d’aller plus loin et de faire mieux.

Si vous ne connaissez pas (bien) Neil Young, vous pourriez être épatés, voire conquis. Et si ce disque vous donne envie de (re)découvrir l’original, vous aurez peut-être une révélation. Ce qu’on vous souhaite, à tout le moins. Et surtout, on abordera avec bienveillance cette tentative de reprise, aussi périlleuse soit-elle, véritable « labour of love », parce qu’elle donne envie de ressortir les vinyles… originaux.
Finalement, à l’ouest, il y a toujours du nouveau.

par Sophie Chambon // Publié le 28 avril 2014
P.-S. :

Ayez la patience d’aller jusqu’à la belle ghost track, la neuvième, comme un chant du cygne, sur l’éternelle beauté de « Words ». Mais là encore, manque quelque chose d’irremplaçable, la voix plaintive, imparfaite et si touchante de l’auteur.

[1Remake réussi (pour une fois) du film japonais de Kurosawa Les Sept Samouraïs, car la transposition du Japon médiéval à l’ouest américain et au Mexique fonctionne parfaitement.

[2D’ailleurs, on peut s’étonner que dans cette formidable discographie, le groupe ait choisi de reprendre beaucoup de pépites de cet album, le plus classique.