Chronique

Dikeman / Kugel / Van Der Weide

Across The Sky

John Dikeman (ts), Raoul Van Der Weide (b, objets), Klaus Kugel (dms)

Label / Distribution : Not Two Records

Rencontre entre le saxophoniste américain John Dikeman, jeune voyageur installé à Amsterdam après avoir élu domicile au Caire et deux improvisateurs européens à l’expérience plus affirmée, Across The Sky, sorti sur le label balte Not Two, est un concentré de free jazz assumé et pugnace. Le trio, en trois morceaux longs, s’inspire beaucoup d’Albert Ayler. Lorsque Dikeman enflamme « A Screaming Comes », morceau inaugural d’une vingtaine de minutes joué dans une inflation constante de notes et de rythmes, l’ombre fugace du Holy Ghost semble planer sur un triangle où le jeune homme veut régner sans partage.

Il faudra une légère inflexion rythmique, un moment plus étale, pour que l’on découvre le jeu très inspiré du contrebassiste Raoul Van Der Weide dans un rôle central de médiation et de canalisation des flux. La grande figure de la scène batave, qui a joué avec Frank Van Bommel comme avec Sanne Van Hek, et a qui l’on doit un remarquable solo, Passages, est le véritable pivot du trio. C’est lui qui, par ses mutations obstinées de l’archet aux pizzicati jusqu’au recours à divers objets, apporte un peu de souffle à ce qui ne serait qu’une tension sans partage. Dans la tempête qui clôt « It Happens Before », en toute fin d’album, c’est cet archet qui contient peu à peu la véhémence de Dikeman. Habitué aux ambiances plus électriques et pleines de métal de sa formation Cactus Truck, le ténor trouve avec Van Der Weide un équilibre salvateur. C’est certainement dans « Across The Sky » et sa lente mise en place de cordes et de bois où le batteur allemand Klaus Kugel fait montre d’une grande sensibilité, que le trio trouve le mieux un discours commun.

Sans cette pondération, Across The Sky tournerait un peu vainement à l’hyperbole. La relation entre le saxophoniste ravageur et le jeu agressif du batteur est un coup d’état permanent. Kugel, qui joue régulièrement avec des figures de la scène de l’est de l’Europe comme Theo Jörgensmann ou Petras Vysniauskas, a beau mettre du relief dans son jeu, tout revient toujours à cette confrontation. La rythmique pousse Dikeman dans ses retranchements. Elle fait monter au fur et à mesure de chaque morceau une tension faite de heurts et de frottements. On pense parfois, devant cette pochette de ciel serein, aux effusions de Coltrane et de Rashied Ali dans Interstellar Space, la dimension mystique en moins. C’est justement elle qui manque, trop intermittente dans ce déluge.