Chronique

Dominique Pifarély

Time Before And Time After

Dominique Pifarély (vl)

Label / Distribution : ECM

Difficile de ne pas être saisi dès l’abord par la grande technicité développée sur ces neuf plages, captées lors de concerts en solo à l’Auditorium Saint-Germain de Poitiers et à la Cave Dîmière d’Argenteuil en septembre 2012 et février 2013. La profusion des notes et les enchaînements de traits complexes pourraient d’ailleurs constituer à eux seuls un catalogue de toutes les potentialités qu’offrent les quatre cordes de cet instrument au manche si court. Sans mépriser la technicité sous prétexte qu’elle ne ferait pas musique à elle seule, il faut, au contraire l’envisager comme une des composantes essentielles du jeu de Dominique Pifarély. La confrontation physique au violon (une oreille attentive entendra les coups d’archet heurtant la table) faite d’échauffements musculaires et de soupirs ponctuels, loin d’être stérile est, en effet, le lieu où la projection d’une pensée et la matérialité du son se rejoignent en un langage personnel parfaitement intime.

Car les références à Henri Michaux, Fernando Pessoa, Mahmoud Darwich (entre autres), à qui les titres des pièces sont empruntés, ne sont pas ici l’unique lien avec la poésie. La langue développée sur Time Before And Time After n’est que polysémie et sensibilité exacerbée. Par d’infinies nuances, riches d’accords savamment déconstruits, elle explose en de multiples voix et démontre, à qui voudrait l’entendre, que le violon n’est pas un instrument uniquement monodique. La polyphonie permet le déploiement d’une multitude de dimensions, de profondeurs ou de lignes saillantes (“D’une main distraite”) et confère au discours une portée orchestrale qui n’empêche pas un son brut, tour à tour acéré ou fait de salissures crissantes.

Si des mélismes orientalisants (“Sur terre”) ou quelques lointains souvenirs de musique baroque reviennent sous les doigts de Pifarély, les réminiscences se dissipent vite dans un flux général gouverné par un désir farouche de maîtriser le discours comme la forme. Les pièces, quoiqu’entièrement improvisées, ne s’égarent jamais dans une liberté vaine. Sur “Gegenlicht”, par exemple, les figures abstraites se déploient logiquement en scintillements métalliques. Pas de notes bleues ici (excepté le touchant « My Foolish Heart » qui clôt l’album), ce travail acharné sur une matière d’où jaillit le sens se construit dans une sorte de romantisme noir débarrassé de tout pathos.