Scènes

Duke & Thelonious au 106 (Rouen)

Nouvelle création de la Campagnie des Musiques à Ouïr après les « Étrangers Familiers », « Duke & Thelonious » est un nouvel hommage aux madeleines musicales. Après Brassens, voici Ellington et Monk. Deux pianistes, deux compositeurs de génie transmués par la « percutterie » de Denis Charolles. Retour sur un concert au « 106 » dans le cadre du Printemps 2012 de Rouen, lieu de naissance de la Campagnie.


Nouvelle création de la Campagnie des Musiques à Ouïr après les « Étrangers Familiers », « Duke & Thelonious » est un nouvel hommage aux madeleines musicales. Après Brassens, voici Ellington et Monk. Deux pianistes, deux compositeurs de génie transmués par la « percutterie » de Denis Charolles. Retour sur un concert au « 106 » dans le cadre du Printemps 2012 de Rouen, lieu de naissance de la Campagnie.

Denis Charolles © Franpi Barriaux

Quand entrent sur scène les huit musiciens de la Grande Campagnie, formule étendue du célèbre trio, tous forment un demi-cercle autour du batteur. Duke & Thelonious est un projet très personnel de Denis Charolles. Une autre façon de confronter la musique de répertoire à l’univers iconoclaste de la Campagnie. Autour de lui, hormis l’accordéon de Vincent Peirani et la contrebasse de Thibault Cellier (Papanosh) on ne trouve que des soufflants dont les pupitres se font face, d’un côté les bois (Gastard, Dumoulin, Eil) de l’autre les cuivres (Bardiau, Mahler). Entre big band de poche et choix instrumentaux audacieux, la Campagnie est d’une grande efficacité qui exprime la volonté de son leader : jouer avec la spatialisation des timbres et les échanges croisés.

« Creole Rhapsody » est une visite très respectueuse de l’œuvre d’Ellington. Le saxophone basse de Fred Gastard y est un très solide pivot qui soutient les éclats cuivrés de Matthias Mahler. La vision de Duke par Charolles apparaît émaciée, mais c’est dans le luxe de détails et de combinaisons, notamment entre les clarinettes de Julien Eil et Vincent Peirani, que la musique se teinte aux couleurs de la Campagnie. Quand le magnifique « Pannonica » de Monk succède au célèbre « Ko-Ko » d’Ellington, le dessein de Charolles sonne comme une « Evidence », celle-là même qui terminera le premier set… La Campagnie malaxe avec gourmandise la rugosité de Monk et l’onctuosité d’Ellington. Onctuosité rugueuse. Voilà une belle définition de l’orchestre…

Fred Gastard, Remi Dumoulin, Julien Eil © Franpi Barriaux

Au milieu de ses musiciens, qu’il dirige sans ostentation et conduit vers des polyrythmies complexes, Charolles livre un jeu sobre qui ne perd rien de sa force tellurique. De loin en loin, il laisse à Gastard le soin de cornaquer les soufflants, notamment lorsque la classe de cuivres du Conservatoire de Région, dirigée par le tubiste Volny Hostiou, vient rejoindre l’orchestre pour lui donner encore plus d’ampleur. Les musiciens évoluent avec un bonheur visible chez Ellington comme chez Monk. La jubilation irradie de cette Campagnie qui souligne l’authentique respect de Charolles pour son sujet. Une authenticité qui s’exprime avec d’autant plus de force qu’elle ne verse jamais dans l’académisme béat, mais plutôt dans l’exégèse chaleureuse. Après le Triton, la tournée qui les mènera du Paris Jazz Festival aux Festival des Nuits d’été est à ne manquer sous aucun prétexte.