Portrait

E.S.T. : présentation presse en vidéo

Le 16 juin dernier, une dépêche du label ACT nous apprenait le décès accidentel, deux jours plus tôt, d’Esbjörn Svensson lors d’une plongée en mer Baltique. C’est avec une certaine émotion que s’est tenue, le 4 septembre dernier au Sunside, à Paris, la présentation de presse de « Leucocyte » avec les deux compagnons de route d’Esbjorn Svensson : Dan Berglund et Magnus Oström.


Le 16 juin dernier, une dépêche du label ACT nous apprenait le décès accidentel, deux jours plus tôt, d’Esbjörn Svensson lors d’une plongée en mer Baltique.

Un voile épais de tristesse tombait sur le monde du jazz.

Et pas seulement du jazz, tant ce trio avait su livrer une musique novatrice, ouverte, accessible, riche, généreuse et vivante. Cela en toute simplicité, en toute authenticité, avec une proximité étonnante avec un public toujours plus nombreux et insatiable. Car, sur scène, la complicité des trois musiciens était tellement forte et palpable qu’elle gagnait très vite chacun des spectateurs, connaisseurs ou non, dans une espèce de fusion communicative et amicale qui se terminait bien souvent, après moult rappels et standing ovations, par un moment passé à discuter musique avec eux, un verre à la main, au terme d’une séance de dédicaces.

Esbjörn Svensson Trio © Patrick Audoux / Vues sur Scènes

Ce drame, pour beaucoup encore inconcevable, stoppe en plein vol une aventure musicale originale et une carrière que l’on imaginait de fait longue et passionnante, et laisse ses admirateurs abasourdis, sonnés, inconsolables… orphelins.

Mais que doit-il en être de ses proches ? Et de ses deux compagnons d’aventure ? Car quelques semaines plus tôt, leur dernier CD, Leucocyte, avait été finalisé. Une tournée de promotion était annoncée, les dates bouclées… avant que tout s’effondre.

Sous le choc, l’idée de ne plus sortir ce 12ème album est évoquée. Mais finalement, la décision est prise et de mener à terme cette aventure humaine et musicale en livrant cet ultime opus d’E.S.T au public, peut-être pour l’aider, lui aussi, à tourner la page.

C’est donc avec une certaine émotion que s’est tenue, le 4 septembre dernier au Sunside, à Paris, la présentation de presse de Leucocyte avec les deux compagnons de route d’Esbjorn Svensson : Dan Berglund et Magnus Oström.

Avant de leur laisser la parole, Sylvia Obst, General Manager d’ACT, revient sur les circonstances difficiles qui marquent la sortie de ce disque.

Au sujet de l’onde de choc provoquée par la disparition du pianiste, Sylvia Obst évoque les centaines de mails reçus par le label, dont certains de musiciens réputés comme Pat Metheny, Brad Meldhau ou Jamie Cullum, bouleversés par la nouvelle. Elle évoque ensuite le rapport de police sur les circonstances du drame, qui conclut définitivement à l’accident, sans doute causé par la nouvelle combinaison de plongée qu’Esbjorn étrennait ce jour-là. En conclusion, elle insiste sur le fait que ce nouveau CD, loin de tout opportunisme ou même d’idée d’hommage, était prêt (montage, livret, intitulé des morceaux…) avant le drame.

C’est maintenant au tour de Dan Berglund et Magnus Oström de répondre aux questions :

C’est le batteur qui s’exprime le plus longuement. Il commence par revenir sur les circonstances de l’enregistrement de ce CD, conçu d’emblée comme « à part » dans l’oeuvre du trio, car exclusivement issu d’improvisations. L’idée, explique Magnus Oström, était déjà dans l’air depuis quelques années. L’opportunité se présente de la concrétiser lors d’un « trou » de trois jours au milieu d’une tournée. C’est dans un studio de Sydney, jadis propriété d’EMI, qu’ont lieu les séances. Dan Berglund précise que neuf heures de musiques furent enregistrées lors de ce marathon, et que c’est Svensson lui-même qui se chargea d’en sélectionner les meilleurs moments, ayant toujours été très doué pour ce travail de tri. L’idée d’un double CD fut même évoquée. Plus tard, la question sera posée aux deux musiciens quant à l’éventualité qu’un autre CD issu de ces séances voie le jour. Sans l’exclure, ceux-ci expliquent qu’il est encore trop tôt pour envisager une telle perspective, tout comme la sortie d’autres inédits d’E.S.T : non seulement il est bien trop tôt pour y penser, mais ils voudraient éviter que, comme celles de Jimi Hendrix par exemple, les archives du trio soient dévoyées par pur appât du gain.

Revenant sur le contenu de l’album, Magnus Oström se souvient de son enregistrement comme d’un grand moment pour le trio. « La musique est venue directement de notre âme et de notre coeur », explique-t-il, « et je suis heureux que notre ultime album soit celui-ci. Pas de compositions écrites, de la musique pure, spontanée. Nous nous offrons nous-mêmes sur un plateau, en quelque sorte ». Interrogé sur le côté prophétique de certains intitulés, le batteur en convient (« c’est un peu effrayant »), mais précise qu’ils avaient été choisis bien avant le drame. « Ad Mortem » avait failli conclure le CD, avant que ce rôle ne soit finalement dévolu au plus optimiste « To Eternity ».

Evidemment, se pose maintenant la question du devenir de cette section rythmique soudain orpheline. Magnus ne cache pas qu’il traverse depuis la mort de son ami une phase difficile. « Nous sommes toujours là, avec la même énergie, mais nous devons la canaliser autrement. Ces derniers mois, je me suis consacré à des occupations plus terre-à-terre. Ça a quand même eu des côtés positifs, car ça faisait pratiquement 15 ans que je ne m’étais pas »posé« . Il y avait toujours une tournée ou une séance à l’horizon. En dehors de quelques séances ici ou là, nous avons décidé il y a une dizaine d’années de nous consacrer exclusivement à E.S.T. Nous avons tout donné à ce trio et à la musique d’Esbjörn. Il nous faudra du temps pour nous en remettre. Nous verrons bien… ». Et Dan Berglund d’ajouter : « Nous n’avons aucun projet pour l’instant, ni ensemble ni séparément. En tout cas, continuer avec un autre pianiste, c’est hors de question ». Espérer retrouver le niveau d’osmose atteint par le trio serait illusoire. « En rejouant avec d’autres musiciens, fussent-ils excellents, nous ne retrouvions jamais la cohésion et l’efficacité auxquelles nous étions parvenus tous les trois. En nous focalisant sur E.S.T, et en ayant la chance d’avoir assez de concerts et de tournées pour nous le permettre, nous avions effectivement atteint une forme d’osmose ».

Suite à l’annonce de la disparition d’Esbjörn Svensson, ses deux acolytes ont découvert l’ampleur réelle de l’engouement suscité par leur musique. « Nous ne l’avions pas vraiment soupçonnée », reconnaît le batteur. « Il existe une vraie communauté de fans sur Internet, qui semblent posséder des enregistrements du moindre de nos concerts. C’est à la fois très flatteur et un peu inquiétant ! Mais c’est intéressant de voir pour la première fois E.S.T de l’extérieur, après avoir été dans l’oeil du cyclone ».

Espérons que Leucocyte rencontre le même succès que s’il était sorti dans d’autres circonstances. Qu’il matérialise, de son étrange couleur, la fin d’une belle histoire dont beaucoup garderont d’inoubliables souvenirs, et apporte à Dan et Magnus l’énergie de tourner eux aussi la page et d’orienter très vite leur talent novateur vers d’autres horizons, assurément tout aussi passionnants.

Dan Berglund / Magnus Oström © Patrick Audoux / Vues sur scènes