Scènes

Échos du festival Jazz à l’Ouest 2015 - 4

Compte rendu de la 26e édition du festival de l’agglomération rennaise.


Photo : Jean-François Picaut

Pour les tout derniers feux de sa 26e édition, Jazz à l’Ouest donne leur chance à sept jeunes musiciens locaux et nous emmène dans les Balkans, à Istanbul puis dans la nature suisse.

Samedi 14 novembre 2015
Amira et Bojan Z : jazz et Balkans
En début de soirée, Jazz à l’Ouest s’est invité à l’Opéra de Rennes dans le cadre de l’ouverture voulue par le directeur Alain Surrans pour sa maison. Le concert s’inscrit aussi dans le programme Divas du monde. La diva de ce soir, c’est Amira (Medunjanin), chanteuse de Bosnie-Herzégovine dotée d’une superbe voix d’alto avec un ambitus étendu. Le Guardian la qualifie de « Billie Holiday des Balkans ». Elle est accompagnée de Bojan Zulfikarpašić, un des pianistes actuels les plus attachants et de Zvonimir Šestak à la contrebasse.

Dans une robe noire à la jupe évasée à la façon des derviches et au buste ajusté, Amira commence le concert avec un morceau serbe au rythme légèrement dansant. Son interprétation orientalisante est très nuancée, du ton de la confidence au forte. L’improvisation de Bojan Z, elle, appartient clairement au jazz. La seconde pièce, une ballade macédonienne, donne lieu à une improvisation très élégiaque.

Nous sommes au lendemain des terribles attentats de Paris et lorsqu’Amira prend la parole c’est pour déclarer : « Ce soir, la musique doit être plus forte que la terreur ». Elle rappelle, submergée par l’émotion, ce que l’ex-Yougoslavie a vécu et ce qu’elle a vécu personnellement.

Le titre suivant est interprété de façon très énergique par Bojan Z qui, dans un geste familier, joue à la fois directement sur les cordes et au clavier. C’est tout l’esprit de ce concert. Le répertoire, largement tiré de l’album Amulette (World village / Harmonia mundi, 2011), est hérité du grand folklore des Balkans mais l’interprétation est totalement moderne, marquée du sceau du jazz. Cela éclate dans « Bele ruže » (Roses blanches), une chanson qui prend ici la forme d’un blues des Balkans, un des grands moments de la soirée.

Le trio manifeste une très grande cohésion et les duos piano-contrebasse, piano-voix, voix-contrebasse révèlent bien l’immense talent de chacun des interprètes. Une ovation debout clôt le concert.

Mahsala : la confiance faite à la jeunesse
La soirée proprement dite a lieu à la MJC Bréquigny, cœur du festival. Le nom du groupe fait référence au mélange d’épices masala. Cette appellation veut représenter la mixité des influences (funk, soul et jazz) qui s’y manifestent et la touche personnelle que chacun apporte à l’ensemble. Lal ;içzss formation, qui a tout juste un an, regroupe sept jeunes musiciens, issus des classes de jazz de Rennes et de Saint-Brieuc.

Romain Salmon © Jean-François Picaut

La formidable énergie juvénile que dégage Mahsala fait plaisir à voir dans les premiers morceaux. Très vite cependant les musiciens jouent plus pour eux que pour le public. Les solistes sont naturellement encore un peu verts mais Benoît Carnet (saxophone ténor), Simon Pelé (trompette) et Romain Salmon (guitare) sont vraiment prometteurs. Il faudra que Romain apprenne à aller chercher le public en lui faisant face. Mahsala possède une qualité à encourager : il ne joue que des créations. Signées par Simon Latouche (trombone), elles méritent qu’on y prête l’oreille.

Safirius invite Pierre Dandin, Guillaume Sené et Tolga Akşıt
Le clou de la soirée à la MJC, c’est la création commandée par le festival au jeune rappeur rennais d’origine turque Safirius. Le jeune homme a fait appel à Pierre Dandin (saxophones) et Guillaume Sené trombone), les deux fondateurs de Sax Machine, ainsi qu’à Tolga Akşıt, virtuose de la clarinette traditionnelle et classique turque. Ce dernier enseigne au Conservatoire national de musique turque et à l’Université de l’Égée, à Izmir où il est né.

Le concert alterne les morceaux avec Safirius et ceux où les instrumentistes se retrouvent seuls. Le rap de Safirius paraît très formaté dans la diction et la gestuelle, et si l’on excepte quelques interjections turques et quelques allusions à Istanbul, dans le premier titre surtout, peu en prise avec la réalité de la Turquie.
Il est clair, très rapidement, que ce sont Dandin, Sené et Akşıt qui font le spectacle. Ce sont des improvisateurs hors pair et la fusion qu’ils réalisent entre les influences orientales et l’univers de Sax Machine est tout simplement superbe, gorgée de couleurs et de rythmes. On retiendra aussi les solos vertigineux de Tolga Akşıt et un duo déchirant de celui-ci avec Pierre Dandin au saxophone alto sur un titre à la pulsation lente. Le même Dandin s’illustre par un remarquable solo orientalisant au saxophone baryton et la conclusion joyeuse et festive revient au trombone de Guillaume Sené.

Mercredi 25 novembre 2015
Susanne Abbuehl et Wolfert Brederode : le triomphe de l’intime
Le festival connaît une sorte de supplément grâce aux Champs libres, le grand établissement culturel de l’agglomération rennaise, qui a invité le duo Susanne Abbuehl (voix) et Wolfert Brederode (piano et harmonium indien). Le concert se déroule dans une sorte de clair-obscur qui contribue à l’impression de sereine intimité qui se dégage du répertoire choisi.
Quand Susanne Abbuehl chante, elle paraît susurrer à votre oreille de sa voix plutôt grave. Elle peut aussi imiter le sifflement d’un oiseau, s’exprimer en parlé-chanté, scatter, s’accompagner à la sanza. Vous avez toujours l’impression qu’elle vous fait une confidence.

Susanne Abbuehl @ Jean-François Picaut

Le répertoire, où domine l’élégie voire la mélancolie, est éclectique, d’un poème de James Joyce à « Children’s song N° 1 » de Chick Corea. « All India Radio » (April, ECM Records, 2001), l’une des pièces les plus rapides du concert, permet au piano de s’épanouir largement. « Yes Is A Pleasant Country », pièce délicate tirée du même album, est une mise en musique du poème d’e. e. cummings, qui a été couronnée par l’Académie des poètes américains. « The Cloud » (The Gift, ECM Records, 2013), accompagnée à la sanza, est chantée dans le souffle avec de subtiles modulations vocaliques ; la voix y est auréolée d’un écho. « This And My Heart » (ibid.) joue aussi sur le souffle mais la chanson est plus rapide et la voix plus grave s’y fait aussi plus chaude. Peu à peu, Susanne Abbuehl et son comparse nous entraînent dans un monde légèrement onirique, plein de douceur et qu’on a du mal à quitter, le concert fini.