Chronique

Eclectik Percussions Orchestra + Oliver Lake

Traces de Vies

Label / Distribution : Passin’ Thru

Parvenir à sortir des chemins balisés pour endosser la jubilation du rythme et du cri dans le jazz n’est pas chose aisée. On s’en tient souvent à une démonstration technique froide et ressassée, où à un exotisme de carte postale qui s’improvise ethnologue. Se faufiler sans faire sonner les portiques est possible, et Guy Constant, le meneur de l’extensible Eclectik Percussions Orchestra (EPO) en est le brillant exemple. Pour incarner le rythme et sa transe, il convient soi-même d’être en mouvement, et le nonet qui anime Traces de Vies ne cesse de s’agiter, comme en témoigne le puissant « Streamin’ », où le saxophone baryton d’Antoine Arlot croise l’alto d’Oliver Lake. Le prestigieux Américain, qui signe ce morceau et beaucoup d’autres, se fond dans l’orchestre avec un naturel désarmant. Ce sont les liens du sang qui attachent Lake à EPO.

« Le vieux lion », où il déambule à la suite de la clarinette basse de Maxime Tisserand traite de cette collusion fraternelle, poétique et vibrante. Ce lion est-il l’invité ? C’est l’évidence : le saxophoniste joue avec une telle décontraction, une telle agilité qui lui permet toutes les fulgurances qu’il évoque le sage félin que l’on a déjà entendu avec le World Saxophone Quartet ou son Trio 3 en compagnie d’Andrew Cyrille et de Reggie Workman. On songe à la rencontre entre Grencso et Lewis Jordan, notamment lorsque Lake déclame des vers où les peaux des tambours sont autant de césures (remarquables Bakary Doumbia et Gustavo Ovalles). Traces de Vies est un périple entre des continents éloignés mais unis. Même l’orchestre est bâti sur une ligne de fracture telle une mer encerclées de rives. Si l’on fait abstraction d’Oliver Lake, constant voyageur propulsé par le cri (« Moment 3 »), ce sont trois soufflants et cinq rythmiciens qui recherchent ensemble une forme d’extase, portée par les batteurs Alex Ambroziak et René Le Borgne. « Emma », à l’africanité ni surjouée ni faussement exotique, où le trombone de Youssef Essawabi est un feu follet, n’est pas un face-à-face, c’est une étreinte. Oliver Lake n’est-il pas le père d’un batteur ?

Dans ses très intéressantes notes de pochette, notre collaborateur Denis Desassis souligne la proximité de Lake avec John Coltrane… Tout autant celui d’Africa Brass que d’Ascension. Il y a une dimension mystique réelle, palpable même, dans « Traces de Vies », duos scénarisés entre le saxophoniste et la plupart de ses compagnons où chaque relais paraît se sédimenter dans une approche globale. Mais c’est bien l’affirmation universaliste qui reste le trait d’union entre ces deux créateurs. Traces de Vies est l’album d’un coup de foudre que Lake a publié sur son label Passin’ Thru. Il est entier et sans concession, à l’image de ces musiciens. Il fera le bonheur de ceux qui aiment quand les musiques créatives se tournent en direction du patrimoine commun sans remâcher de vieilles ritournelles. Aller de l’avant sans s’interdire quelques coups d’œil dans le rétroviseur permet de déambuler librement. Ces traces de vies sont patentes.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 mai 2017
P.-S. :

Guy Constant (perc, comp, voc), Oliver Lake (saxes, comp, voc), Nicolas Arnoult (arr), Antoine Arlot (as, bs), Youssef Essawabi (tb, tu), Maxime Tisserand (cl, bcl, saxes), Bakary Doumbia (perc, voc), Gustavo Ovalles (perc, voc), René Le Borgne (perc), Alex Ambroziak (dms)