Egberto Gismonti & Charlie Haden

Qui aime bien châtie bien, dit-on. Dans ce cas, forte est l’envie de châtier Manfred Eicher, patron d’ECM, qui a laissé croupir au fond d’un tiroir ce précieux bijou datant de juillet 1989 pour ne l’offrir au public que douze ans plus tard.

Sur ce disque enregistré au festival de jazz de Montréal, Egberto Gismonti donne le meilleur de lui-même et est réellement stupéfiant par sa maîtrise de la guitare et du piano - pas en même temps, quand même… L’homme a ses limites, malgré tout - et surtout par la sensibilité et la musicalité qu"il exprime selon qu’il utilise l’un ou l’autre de ces deux instruments. L’auditeur a vraiment l’impression d’entendre deux artistes différents. À la guitare, les jeux rythmiques et la virtuosité d’un maître qui s’amuse à explorer toutes les possibilités sonores
(harmoniques, mélodiques et même percussives…) de l’instrument
(Salvador, Em Familia), ou le support élégant d’une contrebasse (First
Song). Au piano, le calme des ballades, la beauté des harmonies
(Palhaço) ou le jeu aérien et libéré (Lôro) dans des morceaux qui
s’offrent toujours une petite incursion dans le monde de la dissonance
et de la syncope. Chez Gismonti, l’imprévisible est roi. Dès qu’il
semble possible de deviner comment s’oriente un morceau, il nous
déroute et nous entraîne sur les chemins de traverse, quitte à
abandonner temporairement thème et tempo.

Charlie Haden fait davantage office de side-man que de partenaire à
plein temps, mais Gismonti survole tellement le concert que l’on ne peut
réellement le lui reprocher… Il place quelques très beaux solos
(Palhaço, Silence, Lôro) mais rien de plus.

À noter une très belle version au piano de Frevo et un finale (Don
Quixote) d’une rare sensibilité.

Si ce disque ne possède ni le charisme ni l’exotisme d’autres
disques en duo de Gismonti (notamment Duas Vozes avec le
percussionniste Nana Vasconcelos), il reste une indispensable
manifestation d’inventivité et de liberté musicale, d’autant plus
qu’il est enregistré en public.