Chronique

Ellery Eskelin

Arcanum Moderne

Ellery Eskelin (ts), Andrea Parkins (acc, sampler), Jim Black (d)

Label / Distribution : Hatology / Harmonia Mundi

Cliché : sur une plage abandonnée, coucher de soleil. Au loin se joue quelque chose qui ressemble à une samba, qui laisse place ensuite à une pulsation délicieusement hypnotique. Un saxophone vient s’y poser, mais à peine. Il semble ailleurs, perdu on ne sait où, en état de rêve. Peut-être tente t-il d’invoquer le fantôme de Stan Getz après tout. Qui sait ? Il y a de plus en plus de brume et la batterie puissante, éclatée, ramène tout ce beau monde sur terre. Pas de quoi en faire tout un plat : It’s Just A Samba !

Pas de quoi rester les pieds en éventail non plus, le drink à la main : le brusque retour citadin s’impose. L’urgence métropolitaine est évoquée sur fond de beat furieux (43RPM) et le saxophoniste y joue son va-tout, gorge nouée, tendant les notes pour mieux les incliner. Et ainsi de suite, le voyage continue. Dans des landes plus étonnantes où les climats brouillés se disputent à la pop la plus « triviale ». Et ça fait dix ans que ça dure, cette histoire. Vous n’étiez pas au courant ?

Oui, depuis dix ans le trio du saxophoniste américain Ellery Eskelin construit une des œuvres les plus cohérentes de ce qui se produit sous l’appellation « jazz ». Si elle est régulièrement saluée par la critique (« Le plus beau son de saxophone actuel » a-t-on pu lire ici et là), elle demeure, hélas, encore en marge du grand public.

« Créative », « réjouissante », « étrange »… voilà les trois mots qui pourraient résumer au mieux la musique de ce groupe. Arcanum Moderne se place d’emblée dans la lignée des meilleurs disques du trio (Kulak 29&30, One Great Day), ceux où la synthèse délicate entre recherche et efficacité est la plus aboutie. Ceux où le son d’Eskelin est à son apogée. Plein, généreux et lyrique (on y entend ou rêve deux notes à la fois), il peut devenir quasi inaudible, rempli de souffle, ou se dérober sous les trappes des faux doigtés.

Peut-être dira-t-on dans quelques décennies : « Le son d’Eskelin, ce trio, that was something ! » Peu importe, c’est le présent qui compte et ces nouvelles architectures permettent de ne pas désespérer du jazz et de la musique en général.