Chronique

Elliott Sharp & Boris Savoldelli

Protoplasmic

Elliott Sharp (g, s, électronique), Boris Savoldelli (voc, électronique)

Label / Distribution : Moonjune

Ce disque a été mal accueilli. On trouve çà et là des commentaires peu généreux, voire mesquins : somme d’expérimentations qui n’amusent que leurs auteurs, empilement rhédibitoire de sons venus d’ailleurs, délire élitiste abscons… j’en passe et des meilleures.

Certes, la critique est faite pour ça : diversité des avis, débat, frictions sans réconciliation autour d’objets musicaux hors normes. Mais démonter un pareil disque avec des arguments aussi peu recevables ? (Abscons, élitiste et ridicule pour qui ?) Surtout si c’est pour faire aussi peu de cas de la réflexion qui se trame derrière les compositions et des constructions théoriques proposées depuis de longues années par ces deux musiciens, et balayer d’un revers de main la pluralité d’expériences musicales et, plus largement, artistiques dans lesquelles ils sont investis.

Elliott Sharp, d’abord : multi-instrumentiste, à l’aise aussi bien au piano qu’au saxophone et à la guitare — son instrument de prédilection —, membre de diverses formations et non des moindres (Carbon, Tectonics), un pied dans le rock, un dans la musique improvisée, un troisième dans le jazz et un dernier dans la musique contemporaine ; des collaborations avec des artistes aussi divers et passionnants que Sonic youth, Zeena Parkins, Bobby Previte, David Torn, Nels Cline… On peut penser ce qu’on veut de sa musique, mais certainement pas lui reprocher de manquer d’intelligence ou de sens, et encore moins stigmatiser une prétendue fermeture ésotérique.

Boris Savoldelli, ensuite : musicien de formation classique, actif autant dans la musique expérimentale que dans le rock et menant en parallèle un parcours de poète sonore (dont les traces sont audibles ici), Savoldelli a pour ainsi dire construit et pensé seul son outil musical : la voix. Avec le souci permanent d’en élargir les limites, de la défigurer, d’en penser et d’en exploiter musicalement les conditions de possibilité : timbre, souffle, alternance des registres et des techniques.

Certes, Protoplasmic n’est pas banal. D’obédience bruitiste, ce disque n’est pas pour autant agressif, bruyant. Il est même souvent doux, pensé, calme. Il réfléchit en continu à la mise en espace du son (« Nostalghia », « Black Floyd »), à la manière de ciseler la matière sonore, de la disposer dans le temps (ainsi se définirait le rythme dans ce disque : discontinu, haletant, crépitant), de modifier les timbres des instruments dans une optique non naturaliste : la guitare le plus souvent, un saxophone dont joue Sharp sur « Dig It ! » et, bien sûr, la voix de Savoldelli, qui récite, psalmodie, chante ou scatte. Autant de manière de procéder qui ne sont pas le fait d’esprits élitistes ou abscons, isolés dans une tour d’ivoire musicale, mais de musiciens libres et désireux de ne point arpenter des sentiers trop connus.