Chronique

Emile Parisien Quintet

Sfumato

Emile Parisien (ss, ts), Joachim Kühn (p), Manu Codjia (g), Simon Tailleu (b), Mario Costa (dms) + Michel Portal (bcl), Vincent Peirani (acc)

Label / Distribution : ACT

C’est le plus souvent dans une posture de sideman (de luxe) ou de co-leader (comme avec Roberto Negro ou Vincent Peirani) qu’Emile Parisien marque le petit monde du jazz de sa présence. On en est presque arrivé à oublier que les albums sortis sous son propre nom se comptent sur les doigts d’une main, et que tous ont été enregistrés par la même formation, ce qui est paradoxal au regard de la diversité des groupes dans lesquels il évolue. De surcroît, la musique du quartet est - le saxophoniste a toujours insisté sur ce point - le résultat d’une démarche collective.

Aux commandes d’un groupe réuni pour la première fois à l’occasion d’une carte blanche confiée en 2015 par le festival de Marciac, il propose avec Sfumato un disque qui met en avant l’aspect mélodique de son jeu, à contrepied des précédents albums qui reflétaient plutôt ses qualités de déconstructeur, entre verve expérimentale, humour décalé, recherche d’abstraction et écriture pointue. Avec le présent quintet la fantaisie est ailleurs, dans une narration qui évite les brisures au profit de plages étendues durant lesquelles le groupe se livre, avec ce que cela implique d’audaces et de lumière ; un élan favorisé par une section rythmique enthousiasmante (Simon Tailleu et Mario Costa) pour qui la pulsation reste une priorité. Mais, outre le socle rythmique, on étendra à tous les musiciens cette volonté de favoriser l’interplay, l’épanouissement du lyrisme. Un contraste qu’illustre l’interprétation du « Clown tueur de la fête foraine », un titre issu du premier disque du quartet. Il en est ici proposé une version dont la tension éclot de façon inédite, les couleurs de la clarinette basse de Michel Portal et de l’accordéon de Vincent Peirani complétant idéalement la construction cinématographique de cette suite en trois parties.

Le mot de sfumato, technique de peinture par laquelle, pour faire simple, on estompe les contours sans affecter la forme générale, trouve d’emblée tout son sens. Si le « Préambule » tout en délicatesse place l’auditeur dans une posture d’écoute privilégiée tant chaque membre du quintet y déploie des trésors de raffinement, le travail se fait sur la mise en relief des compositions tout au long du disque et l’accent est mis sur l’interprétation. L’attention est entretenue aussi bien par la qualité des thèmes que par l’intelligence des arrangements ou la brillance des solistes. Sur les plans collectif et individuel il y a là une ferveur, un engagement de tous les instants, palpables dans le moindre geste. Cela se traduit par de nombreuses envolées, dont un rigoureux travail de placement (notamment dans la complémentarité entre le piano volubile de Joachim Kühn et la guitare de Manu Codjia) entretient la lisibilité.

La présence du pianiste, jugée suffisamment remarquable pour être mise en exergue sur la pochette, impacte beaucoup l’esthétique du groupe. D’une part parce qu’il signe deux des compositions ou co-signe avec Emile Parisien un superbe duo en forme d’hommage à leur complice commun Daniel Humair, mais aussi et surtout parce que son jeu vif, dense et habité ne laisse pas d’autre choix que d’élever collectivement l’intensité du propos. Ainsi le magnifique solo de piano, tout en rondeurs, de « Arôme de l’air » apporte-t-il au morceau un moelleux tranchant délicieusement avec les échanges mordants du saxophoniste et de Manu Codjia.

Entre épisodes enlevés et suspensions, matières orchestrales abondantes et passages épurés, fièvre et sensibilité, tout est à retenir de ce disque, par lequel Emile Parisien apporte à sa propre discographie la tendresse qu’on lui connaît, tout en inscrivant ce répertoire dans la logique continuité de ses précédentes réalisations, pour différentes qu’elles fussent. Sfumato n’est évidemment pas un virage puisque jamais la générosité n’a fait défaut, mais un nouvel éclairage. Nous voilà éblouis.