Chronique

Eric Watson & Christof Lauer

Out Of Print

Eric Watson (p), Christof Lauer (ts, ss)

Label / Distribution : Out There / Out Note

Ayant passé plusieurs années sans enregistrer, le pianiste Eric Watson avait acquis une image de musicien perfectionniste et rare. En deux ans et autant d’albums, on retrouve avec grand plaisir, grâce à la complicité du producteur Jean-Jacques Pussiau, une certaine régularité dans ses productions. Après une visite soliste des trottoirs nocturnes de Paris [1], il mène ici une discussion à bâtons rompus avec un vieux compagnon de route, le saxophoniste Christof Lauer. Trop peu connu dans l’Hexagone, l’Allemand reconnaissable par la pureté de son timbre chaleureux et ses envolées lyriques a pourtant à son actif une discographie enviable, en tant que leader comme en compagnie d’Albert Mangelsdorff ou avec ses Cousins germains Frank Tortiller et Michel Godard [2].

Si la formule est éprouvée pour Watson qui, de Léandre à Lacy [3] a écrit les plus belles pages de sa carrière en duo, cet échange-ci est inédit. La collaboration entre les deux hommes est pourtant ancienne et riche, notamment au sein du quartet [4] qui enregistra Road Movies en 2004. Out Of Print, capté « live » en 2009, rend honneur à la finesse des deux improvisateurs. Sur « Rain of Steel », qui ouvre l’album par un échange incisif, on renoue à la fois avec la mélancolie ombrageuse caractéristique de Watson et avec la grande clarté du phrasé de Lauer. Des styles opposés qui pourtant se marient à merveille. Entre les choix audacieux du pianiste et la belle dynamique d’un saxophoniste durablement marqué par Coltrane, le duo sait par exemple guider une ballade anodine (« Hero In The Dark ») vers une pénombre empreinte d’étrangeté. Watson traverse Out Of Print avec son habituelle élégance, délestant son jeu de tout effet superflu pour ne garder que l’essence de sa musique : une complexité rythmique héritée de l’équilibre harmonieux entre l’énergie de la Great Black Music et la densité chromatique de bon nombre de compositeurs du XXème, seconde école de Vienne en tête. Assuré par la main gauche de Watson, cet équilibre évoque plus que jamais Tristano. Une intrication portée au paroxysme, jusqu’au martèlement, sur « Juggernaut » qui clôt l’album dans un tumulte labyrinthique. Souvent Watson reste tapi derrière le saxophone, qu’il entraîne dans sa propre frénésie. « Out Of Print », au pivot de l’album, en est l’exemple-type ; après une première partie où le piano semble se lover autour des spirales bouillonnantes du ténor, jaillit un solo de piano éclatant forgé par un déluge de basses tourmentées qui se laissent peu à peu caresser par un Lauer redevenu nostalgique.

Out Of Print est la chronique d’une rencontre enfin aboutie entre deux vieux amis. Il est plaisant d’être invité dans l’intimité de leur passionnante discussion.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 janvier 2012

[1On notera également le formidable Midnight Torsion, Emouvance.

[2Lauer a également enregistré Blues In Mind chez Act en trio avec Michel Godard et Gary Husband.

[3Cf. le magnifique Spirit of Mingus paru en 1992.

[4Avec Christophe Marguet à la batterie et, à la contrebasse, Claude Tchamitchian puis Sébastien Boisseau.