Chronique

Eric Watson trio

Jaded Angels

Eric Watson (p), Peter Herbert (b), Christophe Marguet (dm)

Label / Distribution : ACT

La première écoute de ces « anges blasés » laisse une impression aiguë de mélancolie. On se prend à rêver en regardant au loin, à s’imaginer la brume de Londres ou peut-être celle de Berlin. Ces anges déchus, ces fantômes sur le Mur (« Ghosts on the Wall ») ne seraient ils pas un peu les héros du très beau film de Wim Wenders [1] ?

Mais gardons-nous de réduire ce splendide album à la vision en noir et blanc, crépusculaire, des trois premiers morceaux. Certes, l’enchaînement « Jaded Angels »/« Ghosts on the Wall »/« Fallen Angels » se fait presque sur le même registre : larges accords couleur diamant noir, thèmes somptueusement traînants, contrebasse et batterie minimalistes qui finissent par épouser parfois un tempo moyen lent.

Mais « Ice Lady » annonce le premier tournant du disque. La courte introduction du piano prolonge l’incroyable tour de force des vingt premières minutes : tenir un discours captivant sans que le rythme ne se pose vraiment. Et puis, sans crier gare, Eric Watson envoie un des arpèges hypnotiques dont il a le secret. Comme l’apparition de la couleur dans Les Ailes du désir.

D’un certain point de vue, « Dice In the Sky » constitue le point culminant du disque. Ce long morceau modal et endiablé bouscule l’auditeur alangui, canalise énergie et tension à travers une régularité rythmique nouvelle : on peut certes trouver raide le « chabada » de Christophe Marguet, préférer ses attaques plus feutrées, mais les coups de main gauche d’Eric Watson sont jouissivement ravageurs.

Jaded Angels se prolonge dans l’intimisme de « Consolation », ballade faussement sereine que quelques grappes de piano mystérieuses viennent troubler. Enfin « House of Mirrors » clôt ce disque par un motif arpégé inquiétant qui semble se perdre dans la nuit des temps ou les réflexions infinies d’une lumière déclinante. Alors l’auditeur reste livré à l’angoisse fondamentale du néant silencieux et se dit que Jaded Angels est le disque de jazz dont Blaise Pascal aurait pu rêver.