Chronique

Extemporary Vision Ensemble

The Big Earth

Label / Distribution : Rudi Records

Inscrit dans la tradition du jazz italien libre et indomptable, ce grand ensemble fait figure de point de ralliement des générations et des dynamiques collectives. Ainsi, de l’Instabile Orchestra au Dinamitri Jazz Ensemble, il y a toujours eu un canal d’expression pour les grands formats. Le multianchiste Francesco Chiapperini, leader de l’Extemporary Vision Ensemble (EVE), ne déroge pas à la tradition, voire se place dedans avec une certaine jubilation, comme en témoigne « La Segg Aggstat » où les six soufflants se heurtent au piano frappeur et insatiable de Simone Quatranna, comme une fanfare qui déambulerait face à un mur. Après avoir rendu hommage à la légende Massimo Urbani - symbole du jazzman parkerien qui consume sa jeunesse - dans le magnifique Our Redemption, Chiapperini et sa bande s’adjoignent la boussole de l’élégant label Rudi Records pour aller à la rencontre de The Big Earth avec une puissance de feu fanfaronne. Cela rappellera de loin en loin le Surnatural Orchestra dans son énergie (« Canigatti’ », particulièrement grâce au trombone et au tuba d’Andrea Baronchelli qui assume avec gourmandise son rôle de dynamiteur.

S’il y a quelques similitudes, ce n’est pas seulement à cause d’un goût commun pour le Giallo et les inspirations populaires et traditionnelles qui parsèment l’écriture de Chiapperini, par ailleurs étonnant à la clarinette basse. Le mouvement est également le même. Il est omniprésent et taquin lorsque l’orchestre s’élance dans les courts virages de « Gatti », où la contrebasse d’Andrea Grossi maintient la cohérence rythmique malgré moult accélérations et changements brusques. Ce morceau, véritable épine dorsale d’un album où les titres trapus et agiles sont légion, représente l’occasion de découvrir chaque aspect de l’orchestre, et notamment le petit trio de cordes (Luca Pissavini au violoncelle [1] et Eloisa Manera au violon en surplus de Grossi qui fera merveille dans « Palmieralzer ». Les cordes plantent encore un peu plus le dodécatette dans une esthétique très marquée par la musique patrimoniale du sud de l’Italie qui revient quasiment à chaque morceau comme l’attraction d’une planète.

Là encore, on perçoit chez EVE une volonté de s’inscrire dans une filiation, celle des orchestres qui publiaient chez Black Saint et voyaient au-delà du jazz, mais aussi de groupes comme le Liberation Music Orchestra. Le lyrisme de « Palmieri », le premier morceau où brille le collectif, donne une couleur solennelle à l’orchestre. Cela dépeint avec justesse le grand carrefour méditerranéen dans lequel baigne l’Italie, n’en déplaise au pouvoir en place. Ainsi dans cet album réjouissant, on entend des échos du Sud, des reflets du Maghreb et surtout un joyeux et turbulent mélange de tout ceci accommodé d’une grâce juste un peu piquante qui fera songer à l’ARBF de Yoram Rosilio. Une vraie trouvaille pleine d’individualités à suivre et de collectif à défendre sans se poser de questions.

par Franpi Barriaux // Publié le 15 juillet 2018
P.-S. :

Francesco Chiapperini (arr, comp, cl, bcl), Andrea Jimmy Catagnoli (as), Gianluca Elia (ts), Eloisa Manera (vln), Vito Emanuele Galante, Marco Galetta (tp), Andrea Baronchelli (tu, tb), Simone Quatrana (p), Luca Pissavini (cello), Andrea Grossi (b), Filippo Sala, Filippo Monico (dms, perc)

[1On l’avait remarqué à la contrebasse dans XOL.