Chronique

Fenêtre Ovale

Deuxième Volet

Eve Risser (p), Joris Rühl (cl, bcl), Amaryllis Billet (vln, vielle), Toma Gouband (perc)

Label / Distribution : Umlaut Records

Après avoir côtoyé seule le clarinettiste Joris Rühl autour de compositions de Karl Naegelen, Eve Risser invite deux instrumentistes à ce Deuxième Volet de Fenêtre Ovale. Au ronflement médusé de la clarinette et aux cliquetis et autres tintinnabulis du piano altéré par divers objets que l’on croirait vivants (« Marée », logiquement en reflux) s’ajoutent les percussions de Toma Gouband et les cordes frottées d’Amaryllis Billet, au violon ou à la vielle à roue. Le contexte reste le même : enregistré au Studio 106 pour l’émission Alla Breve, le disque s’empare des morceaux de Naegelen, dont l’écriture respecte, voire rend grâce à la spontanéité de ces improvisateurs. Ainsi, la grande familiarité qui s’installe entre les percussions et le piano permet à « Con Moto » de s’élancer dans une échappée sinueuse où un motif répétitif s’effiloche jusqu’au silence avant de repartir de plus belle. Ce chemin aléatoire exclut toute impréparation. Voici la marque contemporaine du compositeur.

Il y a dans ces morceaux courts, presque des miniatures si l’on considère les 79 secondes de « Flüsterini », tout un monde de sons étranges, palpitants, qui évoque d’autres univers de Rühl, notamment avec Michel Doneda ou dans les turbides profondeurs du Septième Continent de Pascal Niggenkemper [1]. Mais l’influence asiatique, très présente dans la musique de Naegelen et idéale pour l’économie de gestes et le pointillisme d’Eve Risser, donne à cette représentation radiophonique un troublant climat mystique. « Toupie » notamment fait songer aux chuchotis lointains d’un temple shin-to, où la frappe rituelle se mêle aux sons de la nature. La pochette de l’album paru chez Umlaut Records présente un paysage brumeux, et la musique y ressemble étrangement.

Outre les craquements de cordes de Billet et le crachin sporadique de la main droite de la pianiste, toutes sortes de frottements (« Strettes ») et de souffles itératifs (« Maillages ») nourrissent une atmosphère cotonneuse, changeante, gorgé d’une masse impalpable. Fenêtre Ovale est un sanctuaire des timbres les plus bruts, et de leurs spectres. Rien de surprenant lorsqu’on sait que c’est aussi le nom d’une partie de l’oreille interne, réceptacle de l’ensemble des vibrations possibles. Mais cette lucarne est aussi ouverte sur un imaginaire fertile. Ce n’est pas ce Deuxième Volet qui risque d’obturer le paysage.