Scènes

Festival Agora 2011

Retour sur le festival de musique contemporaine Agora, qui clôturait une saison musicale consacrée au rôle des mathématiques dans l’acte de composition et la musique savante d’aujourd’hui.


Comme chaque année, le festival Agora clôt la saison et propose un bilan de la création musicale contemporaine autant qu’un regard nouveau sur des œuvres déjà importantes de la musique du XXe siècle. Cette année, la proposition autour de laquelle s’organisait la programmation concernait le rôle des mathématiques dans l’acte de composition et la musique savante d’aujourd’hui.


Pour reprendre la très juste formule du communiqué de presse, le festival a décidé de s’interroger sur la « conjonction entre intuition mathématique et intuition artistique, logique et imagination, vision et exactitude », d’explorer ce que les mathématiques ont d’irrationnel, se demander comment la musique s’empare de cette irrationalité, et comment intuitions musicales et mathématiques se rejoignent.
A une série de concerts donnés dans des lieux variés (IRCAM, Gaîté Lyrique, 104, Cité de la Musique, église Saint-Eustache), dont une part fut largement consacrée à Karlheinz Stockhausen et son cycle Klang, dernière œuvre inachevée et monumentale, répondait ainsi une série de conférences consacrées à la relation qu’entretiennent musique et mathématiques, sur le plan esthétique autant qu’épistémologique.

Une note positive pour commencer : les concerts auxquels j’ai assisté ont été, pour la plupart, de très haute tenue. Le programme est conçu intelligemment (des concerts, des conférences), donc, mais aussi, les œuvres choisies manifestent toutes un rapport aigu à la recherche musicale, les conditions d’écoute sont sans défaut, le public est nombreux, connaisseur et curieux.

Le soir de l’ouverture, deux concerts : Luna Park de Georges Aperghis, spectacle musical empruntant au théâtre, autour de la surveillance et de la surabondance d’informations dans le monde moderne. Je n’étais présent qu’au second, donné à la Gaîté Lyrique. Dans le vestibule qui jouxte la salle de concert, on pouvait d’abord écouter une version spatialisée de la dix-neuvième heure de Klang (cycle de vingt-quatre œuvres consacrées chacune à une heure de la journée), intitulée « Urantia ». Venaient ensuite, dans la salle proprement dite, la création mondiale de I Have Come Like A Butterfly Into The Hall of Human Life d’Hector Parra, sur un poème de Velimir Khlebnikov, suivi de la quinzième heure de Klang, « Orvoton ».

« Urantia » est une pièce qui mêle la voix d’une soprano enregistrée et une bande sonore électro-acoustique, étagée en plusieurs couches nettement audibles et concentrée autour des fréquences aiguës. Stockhausen y a poussé dans ses derniers retranchements son travail sur la matière sonore. Ici, c’est une longue membrane qui se métamorphose en permanence et dont les motifs sont impossibles à suivre. En utilisant les derniers outils de synthèse granulaire à sa disposition, le compositeur a réussi à ciseler avec une précision sidérante les détails du bloc de son qui forme la pièce, autant que son intrication avec la voix humaine. Tant et si bien qu’à la fin, les sons granuleux et taillés comme des lames de verre générées par calcul, d’une part, et d’autre part le timbre chaud de la voix humaine forment une seule et même architecture sonore.

Une leçon que retient Hector Parra. En choisissant de rendre hommage au Zaoum de Khlebnikov, cette langue dite « transmentale » qui accomplit la tâche impossible d’un verbe motivé poétiquement et qui transcenderait la scission entre mots et choses, Parra compose une pièce pas si éloignée des préoccupations de Stockhausen. La matière sonore de cette pièce exclusivement électronique est elle aussi fragmentaire, étagée sur plusieurs strates, abondante et excessive. Parra a réuni un nombre considérable de fragments sonores microscopiques : sons naturels, bruits métalliques, friction entre objet divers. Les axiomes fondamentaux de la musique concrète y sont renouvelés par un art savant du montage et de la concrétion sonore. Le résultat est conforme aux intentions : la densité extrême de la pièce, sa brièveté font plutôt signe à une forme d’excès et d’infini : chaque fragment renvoie au cosmos de sons dont il est extrait. Pièce très impressionnante qui, pour avoir été uniquement spatialisée sur la scène ce soir-là, dame quand même le pion au morceau central de la soirée, Orvoton et son baryton qui décrit exactement la dimension mathématique et chiffrée de la musique, dans une forme d’humour qui contrebalance la dimension mystique de Klang. « Je suis un baryton. Chaque note dure deux secondes… 440 Hertz ne sont ni beaux ni laids. » affirme « Orvoton ». Et les fréquences graves de la voix de se tisser à celles de l’ordinateur et des sons acoustiques qu’il emporte dans sa force d’entraînement : cordes, piano joué en clusters, spirales chromatiques.

L’autre grand rendez-vous du festival, la création au 104 de La pierre et l’étang (…les temps…) d’Ivan Fedele, suivie de Kraft de Markus Lindberg, était, de fait, moins jusqu’au-boutiste en termes de pureté sonore. Créé par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, La pierre et l’étang (…les temps…) est une pièce pour orchestre et percussionniste équipé de gants à capteurs de mouvements. Les gestes de ce dernier génèrent des sons à la fois acoustiques et électroniques, dans une confusion des genres pour le moins troublante. Comme le dit le compositeur, il s’agit d’un « dispositif de petits capteurs, accéléromètres et gyroscopes, qui nous fournissent en informations concernant l’accélération (de l’archet, par exemple, pour les cordes), la rotation et la vitesse ».
Pour la percussion : la pièce exploite aussi l’avant-geste – sa vitesse, sa structure… une palette assez complexe, non complète encore, d’utilisation de cet instrument désormais fondamental. La miniaturisation des objets augmentera encore la souplesse de l’outil. Le geste est donc simultanément le générateur du son réel et du son électronique, qu’il vienne de l’instrument lui-même ou d’un autre. Cela représente une petite révolution copernicienne pour la composition. » La pièce exploite donc deux types de gestes : le geste instrumental du compositeur, donnant à l’orchestre un certain nombre de motifs à exécuter, et le geste physique du percussionniste. Ces gestes eux aussi sont écrits et pensés, et leur écriture même vient bousculer celle, mentale, de la partition. Dans la salle 400 du 104 et son acoustique redoutable, cette pièce fait grande impression.
Davantage, peut-être, que Kraft de Markus Lindberg, malgré sa puissance brute et son goût du bruit. Ecrite dans les années 80 alors que le compositeur séjournait en Europe, Kraft est nourri de free jazz et de punk mais intègre l’héritage de Berio et Stockhausen ainsi que les développements théoriques de Babbitt et Allen Forte. C’est la première œuvre de Lindberg à intégrer l’ordinateur (il passera d’ailleurs deux ans pleins à concevoir l’environnement informatique qui devait lui servir ensuite à calculer les proportions et les transformations rythmiques et harmoniques complexes). Mais ce qui frappe le plus, au moins sur scène, c’est la série de gestes instrumentaux inédits et hors norme qui viennent littéralement trouer l’espace de la partition.
On ne saurait mieux dire que le programme pour décrire le modus operandi de Kraft  : « Tous les membres de l’ensemble jouent, en plus de leurs instruments premiers, de nombreux instruments de percussion, surtout métalliques, collectés chez un ferrailleur. La musique est spatialisée par un système de haut-parleurs et par les déplacements des solistes, y compris du chef d’orchestre, pendant l’exécution. » Cela donne une pièce spectaculaire et très visuelle, quasi nomade (les musiciens sont en constant déplacement, y compris au milieu du public, derrière lequel est installé un énorme gong), mais aussi très énergique et généreuse, d’autant que ce soir-là le compositeur prête main forte à l’orchestre en tenant le piano et diverses percussions. En fin de compte, ce n’est pas par son vacarme réjouissant que brille Kraft mais plutôt par l’équilibre très intelligent qu’il trouve entre la puissance pure et le besoin impérieux de calculer les différents paramètres de la matière sonore.

Le festival marque ensuite plusieurs jours de pause, pendant lesquels on peut suivre diverses conférences, prendre connaissance de l’installation « Tripwire », ou, le 16 juin, choisir de se rendre sous la Nef du Grand Palais (on y donne Oberlippentanz de Stockhausen, pièce originale pour différents solistes, et Muro d’orizzonte de Salvatore Sciarrino), ou dans la Grande Salle du Centre Pompidou pour entendre Wandlungen et Einspielung d’Emmanuel Nunes, la Julliard Sérénade de Bruno Maderna et la Symphonie op. 21 et le Concerto op. 24 d’Anton Webern.

Le finale est quant à lui fort riche. Le 17 juin, un programme intitulé Cantates réunit Animus Anima d’Ivan Fedele, Par ici ! de l’Autrichien Johannes-Maria Staud, à partir du Voyage de Baudelaire, créé ce jour, et la Cantate n°1 de Bruno Mantovani, le tout exécuté par les Neue Vocalisten Stuttgart et l’Ensemble Intercontemporain sous la direction de Susanna Mälkki. Animus Anima joint « quatre palimpsestes de paroles », des mots simples organisés en colonnes (comme « abisso », « firmamento », « guizzi », « immagine »), égrenés par les vocalistes. Le compositeur en exploite les qualités phoniques, mais aussi les propriétés accentuelles et toniques et extrait une forme de musique sèche, minimale, de ces noyaux indéfinis entre bruits et notes que sont les mots. C’est un exercice de précision qui joue sur l’entrelacs rythmique et tonal des différentes voix entre elles : fort impressionnant !

Dans Par Ici !, Staud emprunte le principe du piano scordatura de Gérard Grisey, qui désaccordait légèrement les notes de l’instrument dans Vortex Temporum. Il joint ce dispositif instrumental à une réflexion sur les tempéraments orientaux, tout à fait étrangers aux occidentaux. Le tout se concrétise dans un piano électronique Midi micro-tonal. Son accord peut être modifié à tout moment par l’interprète jusqu’au quart de ton supérieur ou inférieur pour chaque touche. De fait, pendant l’exécution, onze notes sur l’ensemble du clavier sont modifiées d’un quart de ton supérieur ou inférieur. Le piano se découvre alors des propriétés radicalement absentes de sa conception d’origine. Cet outil très particulier permet l’emploi d’octaves « impures » (augmentées ou diminuées sur des échelles de l’ordre du quart de ton) et des accords complexes plus ou moins altérés. La perception harmonique du spectateur vacille à mesure que le pianiste exécute sa partie en l’entrelaçant au reste de l’ensemble. Dixit le compositeur autrichien : « Ce n’est pas pour moi une démarche spectrale, et je ne veux pas non plus donner l’impression d’un piano désaccordé, mais bien plutôt celle d’une nouvelle harmonie intrinsèque au clavier. Les notes désaccordées ne sont pas perçues comme fausses, mais comme participant d’une conception micro-tonale de l’harmonie. Comme bien d’autres systèmes harmoniques avant lui, celui-ci se déduit de la ligne mélodique. Mais il permet en outre tout un jeu avec les fameux battements, bien connus des accordeurs, que font naître les interférences acoustiques au sein de ces micro-accords. » Un travail de recherche mené en parfaite lucidité et qui constitue le meilleur moment de ce concert. Les interprètes avaient visiblement à cœur de participer à la création de l’œuvre, qui éclipse un peu la Cantate n°1 de Bruno Mantovani.

Le lendemain, soirée en deux parties. A 19h, l’ensemble musikFabrik donne dans la grande salle du Centre Pompidou la sixième heure de Klang de Stockhausen, intitulée « Schönheit », suivie de Celestografia, musica musicans d’Eric Maestri et de Mouvement (- vor der Erstarrung) d’Helmut Lachenmann. La deuxième partie, en l’église Saint-Eustache à 21h30, est plus hétérogène. La cinquième heure de Klang (« Harmonien ») précède Ballata de Francesco Filidei (qui exécute son oeuvre lui-même à l’orgue) ainsi que la Fantaisie et fugue sur le nom de B.A.C.H. de Liszt et Cortege, A Ceremony de Harrison Birtwistle. Soit de la musique classique à proprement parler, de la musique contemporaine jeune et moins jeune, dont un chef d’œuvre tardif. La première partie de soirée reste cependant bien plus excitante et stimulante, dans le voisinage d’un jeune compositeur prometteur avec deux maîtres géniaux et iconoclastes. Le finale est tout de même plus sage, ou du moins, les pensées musicales qu’il construit semblent-elles moins originales.

Revenons à cette première partie. « Schönheit », qui s’inscrit dans la partie la plus mystique de l’œuvre du compositeur allemand, s’ouvre sur une prière. Lob Sie Gott (« Dieu soit loué »), récitent les musiciens entre chaque salve d’accords au début de la pièce. Leur costume bleu, correspondant à la sixième heure, dit assez combien l’esthétique est ici celle du rituel liturgique. Qu’on soit mystique ou non, en accord avec les vues de Stockhausen ou pas, on peut être sensible au dépouillement scénique et harmonique dont fait preuve ce trio pour flûte, clarinette basse et trompette. Les musiciens se déplacent avec parcimonie en exécutant des motifs à la fois simples et complexes dont la structure ouverte, espacée, se déploie sur le principe de la formule que Stockhausen a explorée tout au long de son œuvre. Un principe aussi rigoureux que libre, si l’on en croit ces mots tirés des notes de programme : « La formule, dans son état premier, consiste en un groupe de notes, parfois explicitement présenté (dans cet esprit de ’décomposition’ cher à Stockhausen, qui aime à exposer clairement la genèse de l’œuvre), comme dans Inori (1973-1974). Ce groupe de notes peut évoquer la série de l’École de Vienne, mais est en réalité bien plus complexe car plus détaillée. Chacune des notes est clairement définie par ses différentes caractéristiques : fréquence, durée, timbre, dynamique (ou évolution de la dynamique : c’est-à-dire la nuance et ses évolutions pendant la durée de la note) et mode d’articulation (l’attaque). Toute la composition s’élaborera à partir de ces paramètres premiers. Étendue, cette formule génère la forme globale et les proportions de l’œuvre. Au sein de chaque partie de cette forme globale, la forme des sections est déduite des phrases de la formule et de leur structure rythmique. Non seulement les différents paramètres de chaque phrase sont proportionnés en rapport avec la série de départ, mais chacune des caractéristiques allouées à chacune des notes de la formule devient prédominante dans la section correspondante de l’œuvre. Quant aux hauteurs, la séquence mélodique de base est soumise à une ’expansion’ différente pour chaque section (l’expansion étant tout simplement un agrandissement ou raccourcissement des intervalles, qui représentent comme une ’distance’ entre les notes). »
A l’écoute et sur scène, Schönheit est très apaisée. Le recueillement qu’elle exige de l’auditeur laisse clairement apparaître sa structure formulaire, la manière dont elle se déploie à partir d’un noyau qui motive l’ensemble de ses ramifications. Cette rigueur et cette austérité de l’écriture finissent toutefois par séduire et induisent une attention accrue.

Celestografia a également la tête tournée vers les hauteurs, mais elle est bien moins austère. Cette pièce a été écrite par Eric Maestri au cours de son cursus de composition et d’informatique musicale. Il définit ainsi son travail : « La « célestographie » est une technique photographique qui consiste à retravailler, à la peinture, des plaques métalliques iodées, préalablement exposées à la lumière du ciel étoilé (sans utilisation de lentille ou d’objectif). Mise au point par August Strindberg – si on le connaît surtout comme dramaturge, Strindberg était aussi photographe et peintre –, cette technique annonce d’une certaine manière l’expressionnisme abstrait américain, à la différence que ce sont là des interprétations psychologiques des couleurs et des formes, comme un proto-expressionnisme. »
Pour incarner musicalement ce principe, le compositeur a placé au cœur d’un orchestre de chambre (voix, violon, piano) deux synthétiseurs joués par un même instrumentiste ainsi qu’un dispositif électronique, le tout lui permettant de jouer sur des superpositions de timbres inattendues. Un peu comme une version délibérément primitive du travail d’élaboration d’une composition acousmatique. L’électronique vient étendre les possibilités à la disposition des musiciens, en nombre restreint sur scène. Un des deux synthétiseurs fonctionne à partir d’échantillons de voix de la chanteuse et dialogue avec sa partition comme un chœur dialoguerait avec une soliste, tandis que le second est purement électronique. Cet ensemble à géométrie variable permet aussi bien d’exploiter la nudité du musicien chambriste que l’épauler par des sons étrangers à son instrument. De ce dispositif sophistiqué et intelligent, Eric Maestri tire des couleurs étonnantes, passant sans crier garde d’ambiances orchestrales à des mouvements plus intimistes, et navigant dans des eaux incertaines entre musique purement instrumentale et souvenirs de cantates.

Quant à Mouvement (– vor der Erstarrung) d’Helmut Lachenmann, c’est une pièce en tous points surprenante. D’après le compositeur, la pièce « évoque les derniers mouvements réflexes qui agitent le corps avant de se figer dans la mort : les ultimes convulsions et la pseudo-activité du trépas. Des bribes de rythmes vides – triolets frénétiques, sortis d’une mécanique disloquée – témoignent déjà de cette paralysie interne qui précède la paralysie totale. Dans les différentes illustrations sonores qui jalonnent l’œuvre, de l’’archet-machine’ au ’point d’orgue flottant’, en passant par les ’champs tremblotants’, les ’palpitantes allers et venues frénétiques’, et jusqu’au ’cher Augustin’ et autres situations-variations qui en résultent, l’accent est mis sur le procédé mécanique associé au geste, et l’on utilise ainsi délibérément et exclusivement ce que ces moyens de conjuration du vide ont de vain, jusqu’à ce que l’expressivité elle-même perde tout son sens. La musique incarne ainsi une vie faite de sursauts et de décomposition. Cette décomposition n’est pas traitée ou, pire, célébrée, en tant que processus naturel, mais plutôt suggérée par la fracture du son (c’est-à-dire par la modification « mélodique » du facteur de distorsion, dans le cas des événements percussifs, ou par le recours à la sourdine, etc.). Résultat, il m’a été possible, en me retenant, de rester dans le domaine d’un langage similaire, et de composer avec des sons ’vierges’. Malgré la tentation, j’ai pu ne pas m’évader vers des sons plus exotiques : réutiliser des sons non altérés était le seul moyen pour moi de prouver l’importance que revêtent, non seulement la fracture des sons, mais aussi la tentative de déconstruire nos pratiques de perception pour les redécouvrir en nous-mêmes. »
Tout le programme est là. Il s’agissait, pour le compositeur, d’utiliser des bribes sonores, presque des débris, pour restituer une composition en ruine dont l’expérience permettrait d’affranchir le spectateur de ses réflexes et conditionnements auditifs. « Mouvement » exploite ainsi un ensemble de dynamiques sonores inédites qui se déploient le plus souvent sur le mode de la salve. Cette pièce bruyante et pleine de fougue constitue un geste à la fois théorique et musical de grande ampleur.

C’est pour cette raison que le finale en l’église Saint-Eustache paraît ensuite un peu décevant. Certes, on peut y entendre « Harmonien », écrit sur le même principe que « Schönheit » mais pour trompette seule. Ballata de Filidei et Cortege de Birtwistle ne déméritent pas, mais ne présentent pas la même force d’ébranlement psychique. Un exemple : Cortege, « cérémonie pour quatorze musiciens », expose un cycle d’accords qu’explorent ensuite, chacun à leur tour, les membres de musikFabrik. Procédé très visuel, presque théâtral, mais qui a aussi quelque chose de figé et qui astreint les musiciens à un jeu précis, réglé sur un pas de ronde. Dommage, car ici la rigueur de la composition n’ouvre (ou semble n’ouvrir) sur aucune liberté, contrairement à ce qui se passe chez Lachenmann ou Maestri (liberté d’écoute, de perception) ou Stockhausen (liberté intérieure du mystique). Dans le cadre un peu guindé, quoique très beau, de Saint-Eustache, la musique de Birtwistle, d’habitude si joyeuse et réjouissante, avait quelque chose de presque académique

Mais ne boudons pas notre plaisir : le panorama esquissé par le festival, les formes et les pratiques mises en dialogue cette année confirment la bonne santé de la musique savante européenne.