Scènes

Festival Jazz à Liège 2007

Une palette de styles assez large et une vision « panoramique » du jazz.


Pour sa 17ème année, Jazz à Liège a mis un point d’honneur à améliorer le confort d’accueil avec une signalétique plus claire et un bar plus agréable et plus cosy. Côté affiche, même si certains déploraient l’absence de très grands noms, on pouvait se réjouir d’une palette assez large de styles et d’une vision « panoramique » du jazz. Le choix étant la seule difficulté à surmonter dans ce festival puisque, traditionnellement, les horaires des concerts ne permettant pas de tout voir.

Vendredi, après une agréable mise en bouche avec le Big Band de Liège, dirigé par le trompettiste Alexandre Plumacker, qui rendait hommage à Sadi, Phil Abraham était invité à présenter son deuxième opus inspiré des Beatles : Jazz Me Do. Entouré de quelques belles pointures du jazz belge, le tromboniste propose une relecture sobre et assez soft des grands thèmes des Quatre de Liverpool. Sur un tel répertoire, on aurait peut-être aimé un peu plus de mordant, de folie ou d’inventivité. Bien sûr, on soulignera les belles interventions de Jacques Piroton à la guitare ou de Fabrice Alleman au sax sur « Ticket To Ride », ainsi qu’un arrangement big band assez efficace sur « With A Little Help For My Friend », mais l’ensemble reste trop sage ou trop respectueux et, en tout cas, trop enrobé pour nous emballer totalement.

Dans la Salle de la Loterie Nationale, coupée cette année par un large rideau noir qui rend l’endroit moins froid et moins anonyme, Electro Deluxe développe son jazz électro funk, saupoudré de hip hop, avec énergie. Soutenus par l’excellent bassiste Jeremy Coke, les cuivres de Thomas Faure (as) et Nicolas Gardel (tp) giclent littéralement. Le son est ample et puissant. Les interventions au Fender Rhodes de Gaël Cadoux font encore monter la fièvre. Entre R&B et Soul, la vocaliste Crystal Night répond au spoken word de HKB Finn ; qui ajoute la touche rap au groupe. Même si il n’y a rien de vraiment révolutionnaire, l’ensemble est très groovy, assez dansant, et très bien ficelé, ce qui n’est déjà pas si mal. Surtout si c’est le but recherché.

J.P. Estiévenart © Jos L. Knaepen/Vues sur Scènes

Dans un tout autre style et une approche plus rock, The Wrong Object s’inspire clairement de la musique de Frank Zappa. Dès les premières notes, le ton est donné. On entre directement dans le magma en fusion de « Big Swifty ». Frédéric Delpancq, au sax ténor, renvoie les attaques de Michel Delville à la guitare électrique. Le son est presque saturé. On navigue à la limite du « free » ou du « heavy rock ». Cependant, le groupe garde toujours une ligne directrice claire, laissant de généreuses ouvertures aux improvisations. Jean-Paul Estiévenart (tp) s’y engouffre avec délectation alors que Delplancq redouble de puissance. The Wrong Object trouve aussi ses influences dans l’école jazz-rock progressif de Canterbury, comme sur « The Unbielievable Truth » par exemple. Cette pâte musicale bouillonnante, que font trembler Laurent Delchambre (dm) et Damien Polard (eb), est toujours à la limite de l’implosion. The Wrong Object est une vraie réussite.

Annoncé comme la vedette de ce premier soir, David Sanchez fait salle comble. Son quartet, composé de Lage Lund (g), de Ben Street (cb) et du fidèle Adam Cruz (dm) met le feu à la Grande Salle. Autant le dire tout de suite, nous sommes resté un peu sur notre faim. Certes, on se laisse aller à la douceur du sax sur des rythmes chaloupés aux parfums souvent latins. Le son du saxophoniste est d’ailleurs parfaitement maîtrisé, mais le tout reste très lisse. Bien sûr, les éclats nerveux du guitariste donnent, par moments, un coup d’adrénaline bienvenu. Et l’on ne reste pas non plus insensible aux longues et lancinantes évolutions mélodiques sur des rythmes africains où le saxophoniste démontre un jeu tout en fluidité. On note aussi les belles phrases, graves et profondes, de Ben Street sur les ballades bluesy. Mais l’ensemble est un peu maigre tout de même.

David Sanchez © Jos L. Knaepen/Vues sur Scènes

Le climat est tout autre dans la salle « des 500 ». Entremêlant les rythmes, construisant peu à peu des nappes harmoniques, Octurn propose une belle vision d’un jazz qui se renouvelle. Magic Malik chante littéralement dans sa flûte, les polyrythmies de Xaver Rogé s’allient superbement au groove obsédant de Jean-Luc Lehr à la basse. La musique fonctionne par cycles sur lesquels les souffleurs (Guillaune Orti, Laurent Blondiau ou Bo Van Der Werf) construisent des mélodies hallucinées. Régulièrement, dans les moments plus retenus, voire intimistes, Nelson Veras envoie par rafales des phrases flamboyantes. Le guitariste arrive à se placer judicieusement dans cette musique mouvante et en constante recherche. Tout comme Fabian Fiorini, dont les interventions sporadiques au piano révèlent un sens inné de l’improvisation… Jozef Dumoulin joue au pyromane en déversant des lignes incandescentes de Fender Rhodes sur des thèmes déjà complexes. Gilbert Nouno, récupère les sons, les trafique, les torture avant de les restituer sous une forme nouvelle. À coup sûr, Octurn fut un des grands moments du festival.

Emile Parisien © Jos L. Knaepen/Vues sur Scènes

Samedi, avec André Charlier et Benoît Sourisse, l’heure est au groove endiablé. D’entrée de jeu, avec « Congo Square », le quartet (Emile Parisien et Pierre Perchaud) déballe un swing exalté et joyeux, mâtiné de blues, encore plus inspiré par la musique New Orleans que jamais. Avec un « Work Song » revisité et un « Meeting in Douglaston », les deux leaders mettent tout leur cœur dans des improvisations éclatantes, viriles et tendues. Emile Parisien, qui semble parfois chercher du regard l’approbation de Charlier et Sourisse, se déchaîne dans des solos furieux. Pierre Perchaud, quant à lui, passe de la guitare au banjo et se met plus en évidence sur quelques ballades toujours swinguantes. Efficace de bout en bout, le quartet ne faiblit jamais en intensité. Un vrai bonheur pour les festivaliers.

D. Douglas and M. Strickland © Jos L. Knaepen/Vues sur Scènes

Autre plaisir attendu, et qui ne déçoit pas, est le concert du Dave Douglas sextet. Le trompettiste revenait en Belgique avec son Keystone Project, basé sur les films muets de Roscoe Arbuckle. Subtilement, intelligemment, Douglas réussi à mélanger électro et jazz sans tomber dans les clichés du genre. Ici, le « turntabilist » DJ Olive apporte réellement quelque chose au projet. Il lance des beats sur lesquels Gene Lake superpose les siens avec force et vigueur. Le tonnerre gronde, la pression monte et le jeu de Dave Douglas n’en est que plus étincelant. Il y a une pureté, une aisance et une précision dans son phrasé qui ne laisse personne indifférent. Le groupe alterne avec beaucoup d’à propos les rythmes hypnotiques (« Fatty’s Day Off ») et les blues fougueux où Markus Strickland s’exprime avec énormément de profondeur et d’inspiration.

Douglas n’oublie pas non plus de distiller les messages politiques. Quelques piques envers son président, une petite réflexion sur le réchauffement de la planète et DJ Olive lance des samples de chants orientaux mélangés à des cris de joie d’enfants. D’une apparente légèreté, sax et trompette emmènent bien vite le morceau vers un discours plus rock et plus engagé. Adam Benjamin se montre plus présent sur les thèmes plus « soul » avant que le concert ne se termine dans une ambiance Drum ‘n Bass endiablée. Dave Douglas fait une nouvelle fois la preuve que le jazz et la dance peuvent faire bon ménage de manière intelligente.

Dans la salle Dexia, Manu Hermia est fin prêt à défendre son nouveau projet : Rajazz. Accompagné d’Erik Vermeulen, un des meilleurs pianistes belges, du bassiste Sam Geerstmans et du batteur Lieven Venken, le saxophoniste nous livre un concert plein et intense. Mélange musical inspiré de Coltrane et de la musique indienne, le quartet garde cependant toute sa personnalité. Autant sur les ballades contemplatives, où l’on observe un groupe réellement soudé, que sur des morceaux échafaudés comme des ragas, Manu Hermia fait preuve d’une maîtrise et d’une inspiration étonnante. Que ce soit au soprano ou à la flûte, on le sent investi par sa musique. Soulignons aussi le jeu d’une infinie souplesse de Lieven Venken. Le batteur peut être à la fois incisif et franc mais aussi d’une délicatesse émouvante. Gerstmans, au-delà d’une assise solide à la contrebasse, démontre une maîtrise parfaite à l’archet. Quant au jeu d’Erik Vermeulen, il oscille entre Monk et Tyner tout en gardant une personnalité éblouissante. Rajazz est à la recherche d’une nouvelle écriture qui n’oublie jamais l’émotion.

Brewed By Noon © Jos L. Knaepen/Vues sur Scènes

Pour terminer ce week-end bien rempli (en déplorant malgré tout le fait de ne pas avoir pu écouter les concerts de Bojan Z, Louis Winsberg, E.S.T. ou encore Fabian Fiorini et Jan Rzewski) ; il fallait un feu d’artifice. C’est ce que nous offre Sean Noonan et son Brewed By Noon. Groupe qui porte bien son nom car celui-ci brasse en effet différents genres : le jazz, le rock, la musique celtique ou encore la musique africaine. Mélange détonnant, surtout quand on connaît l’énergie débordante du batteur new-yorkais. Marc Ribot, en invité, envoie des phrases assassines et définitives dans des moments intenses et délirants. Sur des tempos toujours tendus, le chanteur malien Abdoulaye Diabate vient ensoleiller les thèmes à la limite du free. Il les rend plus ronds et souples, en les gardant tout aussi brûlants. Et ce n’est pas le bassiste Jamaladeen Tacuma, plus funk que jamais, qui va éteindre le feu. Le jeu tellurique de Noonan maintient toujours une tension électrique foudroyante. Il s’amuse avec des stop and go comme pour retarder une explosion finale. Vivifiant, bouillonnant et épuisant, Brewed By Noon nous a fait partager, pendant un instant, toute l’énergie que l’on peu retrouver dans la grosse pomme.

Même si l’on a remarqué quelques moments plus faibles, le festival a bien tenu ses promesses en offrant un panorama assez large et éclectique du jazz actuel. Rendez-vous d’ores et déjà l’année prochaine pour une édition que l’on espère plus riche encore.