Scènes

Festival Jazz à l’Ouest 2003

Le Festival Jazz à l’Ouest, 14è édition, a eu lieu à Rennes en novembre 2003. Il est organisé par la Maison des Jeunes et de la Culture de Bréquigny. En voici quelques impressions prises sur le vif.


Jazz à l’Ouest 2003 était consacré à la contrebasse sous toutes ses formes. La « grand-mère » était reine. Du groupe celto-jazz de Jacques Pellen à la salsa intergalactique d’Omar Sosa, en passant par les six virtuoses de l’Orchestre de contrebasses et les groupes rennais de free et d’afro-jazz, il y en avait pour tous les goûts et toutes les couleurs.

Jacques Pellen Process Quartet, Maison des Jeunes et de la Culture de Bréquigny. Mercredi 5 novembre 2003

Jacques Pellen : guitares
Yves Robert : trombone
Gildas Boclé : contrebasse
Marcello Peliterri : batterie

Il y a plus de dix ans que Jacques Pellen joue à mélanger le jazz et la musique bretonne pour mon plus grand bonheur. Je me souviens de l’avoir entendu à Rennes en duo avec Riccardo Del Fra, contrebassiste italien installé en Bretagne, et en groupe avec Del Fra, Paolo Fresu, Glenn Ferris et le chanteur breton Erik Marchand.

Suivant l’humeur, la musique passe du planant au groove le plus obsédant, mais toujours avec humour. La gavotte brestoise n’a jamais paru aussi proche du funk new-yorkais que sous les doigts de ce Maître Jacques là. « Ephemera » m’évoque une promenade en bord de mer, l’hiver sous un ciel gris mais pas bas (nous sommes en Bretagne, pas en Flandre). Jacques Pellen plaisante avec le public, Yves Robert nous fait des effets spéciaux au trombone, Marcello Peliterri et Gildas Boclé assurent comme les pros qu’ils sont.

Le genre de concert auquel emmener une jeune fille qui prétend ne pas aimer le jazz. Bref, si je n’avais pas été seul ce soir là, le concert eût été parfait.

L’Orchestre de contrebasses. Six contrebasses pour six contrebassistes. Pas de micro. Un concert sans tambour ni trompette. Université Rennes 2. Le Tambour. Jeudi 6 novembre 2003.

Je ne connaissais que deux noms parmi les musiciens, Yves Torchinski et Jean-Philippe Viret. Un concert pour tous publics, de 7 à 77 ans, de l’amateur raffiné au néophyte. Six virtuoses au service de leur instrument, qui le transcendent, le subliment, l’allègent.

Une mise en scène simple et efficace. Six hommes vêtus de pantalons et de chemises noires identiques. Ce n’est pas une reconstitution de ligue dissoute mais un groupe jouant des compositions originales avec un sens de l’humour à toute épreuve et dans n’importe quelle position ! Par exemple, contrebasse tête en bas, ou reposant sur le manche, ou encore en se cachant derrière le ventre de la grand-mère. Si vous n’avez jamais entendu la pluie, les essuie-glaces, les voitures, le vent, la mer, les mouettes, l’ennui, la lenteur, le gris en musique, courez écouter « Week-end à Deauville » par l’Orchestre de contrebasses.

Quels que soient ses soucis au départ, chaque spectateur sort souriant du spectacle donné par ce sextuor à cordes unique en son genre.

Soirée « Régionaux de l’étape » Maison des Jeunes et de la Culture de Bréquigny. Samedi 8 novembre 2003.

1ère partie : Playtime
Pierre-Yves Mérel : saxophone ténor
Guillaume Robert : contrebasse
Franck Thommelet : batterie

2ème partie :
Carte blanche à Dina Rakotomanga, bassiste malgache.

Pierre-Yves Mérel est un jeune saxophoniste rennais qui commence à se faire un nom dans le coin. Ce soir, un trio rollinsien. Une musique faite de compositions originales, dans un style proche de l’avant-garde jazz des années 1960. Pas facile pour tout le monde. Quant à moi, j’ai beaucoup apprécié l’énergie, la virtuosité, l’engagement sans concession de ces jeunes gens. Ils attaquent bille en tête le premier morceau sans se présenter ni saluer la salle. Certains spectateurs n’apprécient pas. La majorité, dont votre serviteur, applaudit. Devant la scène, une fillette de six ans danse, possédée par la musique. « En rappel, pour vous faire plaisir, « Jayne » d’Ornette Coleman », annonce Pierre-Yves Mérel. Un son rollinsien sur du Ornette Coleman, je suis enchanté.

Dina Rakotomanga, malgache et bassiste, est une figure de la scène musicale rennaise. Pour cette soirée, il avait rassemblé son fils aux percussions, un Malgache jouant d’un curieux instrument traditionnel à cordes, Laurent Gentil au piano (un son aérien, endiablé), Modeste Ratsimendrisy au saxophone piccolo (Modeste, lui aussi malgache, anime les ateliers Jazz de la MJC de La Harpe à Rennes), un batteur, un accordéoniste, un guitariste, sa basse, sa contrebasse. Après un exposé non dénué d’humour et de clarté sur la difficile situation des Intermittents du spectacle, la fête commence. Malheureusement, nous sommes assis, nombreux, sans espace entre les sièges et la scène. Impossible de danser. Il ne nous reste qu’à nous dandiner sur nos sièges comme des diables enchaînés. De temps en temps, comme pour cette ballade jouée en trio, seuls interviennent la contrebasse, la guitare et l’accordéon. De la musique malgache, bretonne (« Je suis un Breton victime de l’Erika » dit Dina en montrant son visage). « Footprints », de Wayne Shorter, joué avec des instruments traditionnels malgaches, sonne de manière inouïe. Modeste danse avec Laurent. Le batteur joue de la bombarde. Il ne s’appelle pas Bruno Le Bozec pour rien, Ker Christ !

Omar Sosa Trio Maison des Jeunes et de la Culture de Bréquigny. Dimanche 9 novembre 2003.

Omar Sosa, pianiste cubain, n’est ni réaliste ni socialiste. Ses vêtements le classent quelque part entre Thelonious Monk et Sun Ra. Sa musique aussi.

C’est un pianiste percussif qui ignore ce mot de Claude Debussy : « Le pianiste doit faire oublier à l’auditeur que le piano est un instrument composé de marteaux qui frappent des cordes ». Sur les tempos lents, il a parfois une fâcheuse tendance à se perdre en mièvreries. Mais, sur les tempos rapides, sa salsa devient intergalactique. Un rythme à faire danser les étoiles. Jazz et vin de palme, comme disait Emmanuel Dongala.

Omar Sosa est accompagné d’un Marocain chanteur et joueur de gembri, espèce de guitare basse à deux cordes qui sert de symbole à l’Orchestre National de Barbès. Pas de batteur, mais un percussionniste brésilien dont les mains se multiplient comme celles du dieu Shiva alors que ses pieds aux chevilles ceintes de clochettes tintent sans cesse.

Omar Sosa est un trafiquant de sons. Il prépare son piano en trifouillant les cordes, en y jetant des colliers, avec un ordinateur de bord qui lui permet de garder son plan de vol pendant qu’il file dans les espaces interstellaires que son imagination mirifique nous fait découvrir. Puis il fait participer le public, lui apprend à battre la mesure, à chanter.

S’il pouvait abandonner son piano, il nous apprendrait bien à danser. Mais, pour notre plus grand bonheur, il ne le peut pas.

par Guillaume Lagrée // Publié le 15 mars 2004
P.-S. :

Festival varié et réussi cette année. Mais le manque de moyens est criant. La même semaine avait lieu à Rennes le festival de théâtre « Mettre en scène », qui mobilisait le Théâtre National de Bretagne, les médias locaux et nationaux, les subventions, bref, l’attention. Pas facile non plus de faire un festival de jazz à Rennes un mois avant les Transmusicales, festival de rock universellement reconnu, du moins aux dires de ses promoteurs.
La MJC Bréquigny se glisse dans les interstices que laissent ces grosses machines pour réussir son festival. Pour le 15è anniversaire en 2004, on nous promet monts et merveilles. Affaire à suivre.