Scènes

Festival Jazz sur Lie 2006

Jazz au bord de l’eau par une belle journée de fin d’été. Un cadre et une ambiance inoubliables…


  • Samedi 26 août 2006. Le Pé sur Sèvres. Le Pallot.

Une soirée de concerts de Jazz au bord de l’eau dans le vignoble nantais par une belle journée de fin d’été. Un cadre et une ambiance inoubliables.

Univers Satierik

Philippe Allaire : p
Thibaud Cellier : b
Cédric Routier : dm

Un hommage décalé à « Esoterik Satie » (Alphonse Allais).
Le public est assis par terre, sur des tapis de mousse plastique, au pied de grands arbres qui se balancent sous le vent, au pied de la Sèvre qui coule doucement. Il est 18h. Droit devant nous, plein Ouest, le soleil décline. Les diverses scènes du festival sont réparties dans la nature, près de la rivière ou en hauteur. Des installations d’art temporaire sont dispersées le long du chemin : parapluies accrochés aux branches, arbres habillés de couleurs, scènes tendues de rideaux colorés.

Début du concert tout en douceur avec Poudre d’or. Il semble que le marchand de sable soit en avance ce soir. La musique se joue sans micro. Le batteur est aux balais. Cela sonne comme une valse lente, « plus que lente », même. Petit à petit, le tempo s’accélère tout en restant léger et gracieux.

Embryon desséché (Satie). Des décalages rythmiques viennent nous surprendre. La musique est l’art de décaler les sons, après tout. Chaque musicien, tour à tour, sème le désordre et récolte l’ordre.

La deuxième Gnossienne est suivie de La première ogive, toutes deux composées par Erik Satie. La gnossienne fait une très ballade de jazz. Le batteur joue avec les mains sur les tambours. Le pianiste nous présente une cuvée Satierik, une cuvée de muscadet par an jusqu’à 2025, année du centenaire du décès de Satie. La musique explose avec la première ogive, en toute logique. Le batteur se débat avec une plaque d’aluminium à laquelle il fait subir des traitements d’une violence inouïe…

Pour calmer le jeu, le batteur s’étant bien défoulé, le trio repart sur les Sports et divertissements de Satie avec « In a Swing » (« La balançoire ») et « In the Race » (« Les courses »). On sent bien le doux mouvement de la balançoire qui s’enchaîne directement avec le galop des courses de chevaux sur un rythme bebop.

Pour finir joyeusement, La Diva de l’Empire contre-attaque avec une musique swingante, faite de surprises, de relances, de jeu.

Concert parfait pour faire découvrir à des enfants Erik Satie et le jazz contemporain en même temps.

Médéric Collignon « Jus de Bocse »

Médéric Collignon : tp
Frank Woeste : kb
Frédéric Chiffoleau : b
Philippe Gleize : dm

Le programme hommage à Miles Davis du fils français des amours musicales de Don Cherry et Dizzy Gillespie… L’hommage à Miles commence par Porgy and Bess, opéra de George Gershwin réarrangé pour Miles par Gil Evans.

« My Man’s Gone Now » commence très près de l’original. Médéric lit la partition qui tient malgré le vent. Pour faire plus sérieux, non seulement il chante les paroles mais, en plus, il porte des petites lunettes d’intellectuel. Médéric se serait-il assagi ? « Bess, You Is My Woman now » est toujours très classique dans son interpretation, très fidèle au modèle. Néanmoins, quand Médéric chante, c’est déjà moins classique. A partir de « Mood », morceau tiré du répertoire du dernier quintette acoustique de Miles (1965-1967), la musique entre dans une nouvelle dimension. Médéric s’applique. Il joue même courbé, avec la trompinette penchée vers le sol comme Miles. Il ne rigole plus, il est dedans. La musique aussi. Il scatte prolongeant cette fin sans fin du morceau original par des prouesses vocales, rejoint dans sa fantaisie par le contrebassiste et le batteur.

Médéric Collignon © H. Collon/Vues sur Scènes

Médéric Collignon © H. Collon/Vues sur Scènes

Le groupe en arrive maintenant aux débuts du Miles Davis électrique avec « Mademoiselle Mabry » (Betty de son prénom). Le groove planant du groupe emmène de plus en plus loin le public. Le voyage se poursuit avec « Early Minor » de Zawinul. Colligon se met à chantonner « Shh-Peaceful », tiré d’In A Silent Way. Il ajoute son propre trafic sonore sur le Rhodes de Frank Woeste. Le naturel reprend le dessus. Ce n’est pas vraiment une version pacifique de ce morceau. Il ose scatter sur cette célèbre ligne de basse d’« In A Silent Way » - avec laquelle Sting fait l’admiration des foules depuis des années. Le morceau se termine sur un long et souple étirement. Médéric annonce un solo de batterie. Philippe Gleize sort l’artillerie lourde et canonne. Sait-il faire autre chose ? A t-il déjà écouté Chico Hamilton ? Le groupe repart sur un morceau tiré de Bitches Brew. Collignon trafique sa trompinette par le truchement de l’électronique pour obtenir un son mouillé, distendu. Il en arrive même à trouver un son de flûte. Une seule chose à lui reprocher : quand on sollicite autant ses cordes vocales, on ne fume pas. Un peu de respect pour l’instrument de travail, que diable !

Le charme de ce festival est lié à la diversité de sa programmation, à son prix (quatre concerts pour le prix d’un à Paris), à son organisation par des amateurs passionnés, à sa localisation (dans le vignoble nantais), à son ambiance (difficile d’imaginer plus éloigné des tracas urbains), à sa gastronomie (ah, les écrevisses de rivière grillées !) et à son oenologie (le muscadet du pays nantais est partout dans ce festival, mais personne ne vous oblige à en boire). Un détail important toutefois pour les futurs spectateurs : pour les concerts du soir, prévoir le duvet, la couverture, des vêtements chauds. Même l’été, les nuits sont fraîches au bord de la Sèvre…