Scènes

Festival Koa Jazz 2016 (1)

Pierre Diaz Trio, Ünâme, O.N.J d’Olivier Benoit


L’ouverture des neuvièmes rencontres Koa Jazz a eu lieu le lundi 25 avril au Dôme, à Montpellier. Après l’édition 2015 où la trompette était à l’honneur avec la présence exceptionnelle de Dave Douglas et Ambrose Akinmusire, c’est cette année au tour de la guitare avec deux autres géants américains Marc Ribot (en solo), et Kurt Rosenwinkel (en trio).

On aura aussi le plaisir d’entendre Dan Weiss et Ellery Eskelin dans le trio du pianiste belge Jozef Dumoulin. Côté français, la programmation est au moins aussi alléchante avec notamment l’ONJ d’Olivier Benoit, ainsi que trois journées avec Andy Emler (solo, trio, workshop, et la projection d’un film documentaire sur sa direction du Megaoctet). Beaucoup d’autres événements comme Collision Collective pour des concerts et tables rondes, du soundpainting avec Walter Thompson, des ateliers, siestes musicales, et une belle place laissée également aux groupes de la région.


Ainsi pour la première soirée, le trio du saxophoniste Pierre Diaz entre sur un hommage à Paul Motian. On se retrouve assez vite projeté dans l’œuvre du batteur, en particulier dans celle qu’il offrait avec Bill Frisell et Joe Lovano. Guitare, batterie, ténor, comme l’original. Dans le rôle de Paul Motian, Maxime Rouayroux (membre du Collectif Koa qu’on retrouvera à plusieurs occasions dans le festival) est toujours aussi spectaculaire et éloquent. Sa cymbale mousse dans une résonance infinie et la vapeur électrique qui s’en échappe embrume progressivement la scène. Les notes de guitare s’installent à la pédale de volume, sans attaque, et appellent le saxophone du bout des ondes. Ce dernier fait son entrée et devient, sans s’imposer, meneur de jeu. L’atmosphère est planante et lui s’en amuse, chapeautant parfois l’harmonie de phrases légères et de notes longues, ou retrouvant d’autres fois à l’unisson la narration lyrique du guitariste Matia Levréro.
Pierre Diaz est un personnage important de la scène régionale. Connu pour les registres très larges dans lesquels il opère, il a navigué du jazz au reggae (co-fondateur du groupe Regg’lyss), en passant par le classique, le trad, et plus largement les musiques associées à d’autres pratiques artistiques. On n’eut pas, ce soir-là, le plaisir de l’entendre à la clarinette basse, mais bel et bien celui d’apprécier le son de son sax aux modulations si amples. Le timbre tantôt léger, tantôt très plein, et cette façon d’être aussi expressif dans le son que dans les phrases. Après avoir joué plusieurs morceaux de Motian, le trio se risque à une composition « à la manière de ». La musicalité bestiale de Pierre Diaz retentit de plus belle, les nappes de guitare se distendent et enrobent de réverb les rugissements contenus de la batterie.
A la suite de cette belle mise en jambes, les musiciens locaux sortent leur attirail et rejoignent la scène pour la traditionnelle jam d’ouverture de festival. Koa Jazz est lancé.

Mercredi 27 avril – Ünâme et l’ONJ d’Olivier Benoit à Victoire 2
Pour introduire l’Orchestre National de Jazz, le trio Ünâme est un choix parfaitement judicieux. Ce dernier joue une musique dans laquelle le contraste règne en maître. On passe d’un monde évanescent dans lequel chaque musicien jouit d’un espace d’expression immense, à des plages triturées, fiévreuses où le groove se désarticule. On va d’un extrême à l’autre dans des transitions si subtiles qu’on n’a pas eu le temps d’entendre le volume ou le tempo bouger, alors qu’ils ont été triplés tous les deux. C’est encore une fois Maxime Rouayroux à la batterie, armé d’une intarissable quincaillerie qu’il sort de la mallette posée à ses pieds. Des colliers de perles qu’il lâche sur les peaux, un archet pour frotter ses cymbales, des bols en cuivre dont il vient confronter la résonance avec celles de ses toms. Tout est prétexte à explorer ses sonorités et à les diluer dans l’ensemble. On y retrouve encore un peu l’ombre de Motian à qui il avait rendu hommage deux jours plus tôt. Hervé Duret, à la guitare, peut jouer en arpèges des accords très simples, presque folk, avec un son chaud et clair, en préambule d’un morceau brûlant et à l’harmonie tourmentée.
Le dernier morceau joué ce soir-là par Ünâme s’appelle « C’est Pas Du Tango ». Au vibraphone, Samuel Mastorakis fait montre de ses talents incontestables de rythmicien. Les appuis sont solides tant dans l’improvisation que dans les parties écrites, et lui aussi va chercher le modelage du son. Il dispose des blocs de papier sur son instrument et le transforme en marimba, tandis que Duret étouffe ses cordes dans une ligne de basse ternaire enlevée qui hume le blues africain. Rouayroux use de toute sa machinerie dans un cliquetis mécanique, les polyrythmies semblent évidentes, les motifs s’imbriquent, s’enracinent et s’envolent. Chaque instrument ne met en vibration que du métal, mais sonne comme du bois. Le paysage est visible à l’oreille.

Alexandra Grimal (par Frank Bigotte)

C’est ensuite l’Orchestre National de Jazz du guitariste Olivier Benoit qui monte sur scène.Très vite, il se passe tellement de choses qu’on ne sait plus où donner de la tête. Derrière le solo de trombone de Fidel Fourneyron, tous s’agitent comme des abeilles ouvrières. Du soundpainting dans tous les coins, Théo Ceccaldi dirige piano, Rhodes et clarinette tandis que Fabrice Martinez s’occupe des saxes. Derrière eux la rythmique fait sa cuisine, Eric Echampard bouillant littéralement derrière ses fûts.
L’ONJ joue ce soir-là le répertoire de son récent disque Europa Berlin. On en retrouve parfaitement le ton, et la volonté de déconstruire et reconstruire l’architecture sonore comme pour dépeindre l’histoire de la capitale autrefois coupée en deux. Le plan de scène est à cette image : deux demi-cercles lovés l’un dans l’autre, l’un constitué des soufflants (dans lesquels s’inclut le violon), et l’autre de la section rythmique. Cette dernière fait preuve d’une unité remarquable dans l’énergie. Ils vivent comme si un seul instrument improvisait, comme s’il n’y avait qu’une tête pour cinq corps. On saluera d’ailleurs l’impressionnante prestation de Stéphane Decolly, bassiste remplaçant d’un soir qui a su s’approprier la musique d’Olivier Benoit avec tant de justesse qu’on la croirait sienne depuis toujours.
Une telle formation offre une infinité de possibles pour se prêter au jeu du mariage des timbres. Hugues Mayot au sax alto dessine avec Ceccaldi un thème qui se mue peu à peu en accompagnement secondaire, Jean Dousteyssier et Alexandra Grimal y ajoutent les ondulations de leurs anches. Les embouchures des cuivres viennent parachever le tableau qui s’excite, fébrile, et tourne peu à peu au chaos. Autour de Grimal qui hurle un solo en transe, chacun dirige et les chefs d’orchestre se succèdent en fonction de qui est disponible. L’anarchie contamine tous les pupitres, les claviers de Sophie Agnel et de Paul Brousseau flambent.
Dans « Révolution », Fabrice Martinez fait sonner sa trompette au plunger (la ventouse débouche-évier utilisée comme sourdine « wah-wah ») avec l’allure d’un chanteur déchaîné. Autour de lui, bois et cuivres se tendent et se détendent, le son s’épaissit et s’amincit. L’orage de la basse gronde et la batterie fait entendre de lourds roulements sur ses peaux graves. Le concert s’achève sur « Persistance De L’Oubli » et l’écho d’un ronflement sourd qui demande du temps pour laisser retomber la poussière.