Scènes

Fin de semaine torride à Rennes

A Rennes, la Ferme de la Harpe, lieu associatif et musical, organisait un festival de jazz du 9 au 15 mai 2004. En voici quelques impressions sur le vif.


Le Festival de Jazz de la Harpe était surtout ouvert aux amateurs, dans le bon sens du terme, avec seulement deux groupes professionnels pour conclure : Max Zita (gospel) et Médéric Collignon (Jazz). Le programme complet se trouve sur www.laharpe.net/festival

Je ne suis toujours pas photographe de Jazz. Je renvoie donc le lecteur à www.photographite.com pour les instantanés visuels de ce festival.

Mardi 11 mai, j’étais à la MJC Bréquigny pour le Tremplin All Jazz. Devant un jury de professionnels et un public attentif, trois groupes amateurs de la scène rennaise se produisent. And the winner is : Jad Zooïd ! Il s’agit d’un trio composé d’Antoine Tharreau (« pianoplie électrique »), Laurent Goubiou (guitare basse électrique), Matthieu Leziard (batterie). Je suis ce groupe, qui n’a pas encore enregistré d’album, depuis le 21 juin 2003, date à laquelle je les ai découverts à la Fête de la Musique, à Rennes. Leur son très inspiré du jazz rock et du rock progressif des années 70 est mâtiné de folie klezmer. Ils jouent leurs compositions, celles d’Antoine, avec une couleur, une folie immédiatement reconnaissables. Ils passeront en novembre 2004 au Festival Jazz à l’Ouest en première partie d’un Jazzman français surnommé « Aldo la classe ». Je leur souhaite de vivre heureux et de faire beaucoup de concerts et d’albums.

Vendredi 14 mai, je retrouve deux des trois membres de Jad Zooïd à l’Elsa Popping, fameux bar rennais qui a changé de propriétaire mais pas de décoration ni d’ambiance depuis mes années estudiantines. S’y produit un superbe quintet de jazz, « We Insist », composé de Pierre-Yves Mérel (sax ténor), Fred Burgazzi (trombone), Pierre Borghi (piano), Emmanuel Grimonprez (contrebasse) et Antoine Paganotti (batterie). Au programme, uniquement des compositions Blue Note période 1955-1965, jouées avec flamme, chaleur, vigueur. La salle est minuscule et je manque plusieurs fois de me faire estourbir par le trombone à coulisse mais c’est le pied. A 1h du matin, fin du concert, départ pour la Ferme de la Harpe et le boeuf. Médéric Collignon et son batteur Philippe Gleize mettent le feu, entraînant avec eux les musiciens locaux.

Samedi 15 mai, nuit de clôture du festival à la Ferme de la Harpe. 18h30 : les enfants de l’école primaire Jean Moulin de Rennes forment une chorale Jazz et chantent du Monk, du Ellington avec swing et fraîcheur. Un vrai délice ! Des tempéraments de showmen et show-women se révèlent.S’ensuivent des groupes que je juge médiocres. Je m’absente une heure.

A mon retour vers 20h30 j’assiste à la fin du concert de be bop à Loudiak, un big band de Loudéac. Des adolescents soufflants, swinguants, chantants, dirigés par un monsieur qui a l’âge d’être leur père et fait tourner l’orchestre comme s’il se composait de professionnels. A ré-écouter. Suite un interlude animé par une fanfare médiocre.

Puis vient Max Zita et son Gospel Voice. Un pianiste, trois chanteuses, deux chanteurs dont le leader s’accompagne aussi à la guitare sèche et au tambourin et l’autre (qui ressemblet étonnament à James Brown jeune) tambourine. Des grands classiques, du prêche, de la foi, de la ferveur. Tous, Impies et Gentils, nous chantâmes les louanges du Seigneur tout-puissant grâce à Max Zita. Final avec une chorale locale d’une trentaine de personnes. L’épectase.

Alors arrive Médéric Collignon avec son quartet : Fender Rhodes, contrebasse, batterie, cornet de poche, bugle, chant. Médéric assure à lui seul les trois derniers éléments, et bien d’autres choses encore. Au programme, une relecture du « Porgy and Bess » de Gershwin, version Gil Evans + Miles Davis. Une lecture finalement assez proche de l’original. Un engagement total des musiciens. Son splendide de Collignon, tant à la trompinette qu’au bugle. Son claviériste tudesque assure l’accompagnement orchestral à lui seul. Frédéric Chiffoleau s’impose à la contrebasse dans un groupe où la basse électrique semblerait a priori plus indiquée. Philippe Gleize fait montre de sa furia francese habituelle, mais sait aussi se faire souple et tendre sur les ballades. L’imagination, la fantaisie, la virtuosité vocale, le sens du bricolage électronique de Collignon me laissent sans voix. En hommage à Elvin Jones, il fait respecter par le public une minute de bruit où il nous apprend à crier en mesure. Prévu pour durer 1h30, le concert dure trois heures. Quelqu’un me l’a dit après car, sur le moment, je ne m’en suis pas aperçu. Certes, sur trois heures, il y a eu quelques bas, mais tellement de hauts si beaux que j’en oublie ces bas qui n’étaient pas de soie.

Vers 3h du matin, pour les derniers fidèles - encore une bonne centaine de personnes -, Jad Zooïd conclut la soirée par un concert inspiré. A cette heure-là, sans jury, ils se lâchent encore plus que le mardi précédent. Antoine rentre dans ses claviers (Fender Rhodes, Farfisa,Hammond) pour ne faire plus qu’un avec eux, Laurent fait chanter sa basse comme une almée égyptienne, Matthieu règle les comptes et empoche les pourboires. Du « Voyage d’un lynx en Lydie » à « La Pyramide à tête de chou », c’était « A en perdre son kobaïen » et quelques autres compositions de Jad Zooïd.

Vers 5h du matin, le boeuf commence. Je sens que ça ne démarre pas, et je n’ai plus la patience d’attendre. Bref, je rentre chez moi émerveillé, ébaubi, ébloui par cette nuit de folie. « Et tu chantes, chantes, chantes ce refrain qui te plaît… »

par Guillaume Lagrée // Publié le 28 juin 2004
P.-S. :

En une semaine, avec des amateurs, quelques professionnels, des animations et des lieux variés, et beaucoup de concerts gratuits, l’équipe de la Ferme de la Harpe a réussi à faire souffler le vent du swing sur une ville, Rennes, vouée au rock’n roll et à ses produits dérivés ainsi qu’à une musique bretonne qui n’est pas d’ici mais de beaucoup plus à l’Ouest. Merci à toute l’équipe et à la prochaine édition.

Si le petit chaperon rouge lit cet article (je l’ai rencontrée lors du festival), qu’elle prenne garde au grand méchant loup… « Oh Wolfie ! »