Scènes

Four Walls

Une lettre de Philippe Méziat.


Une lettre nous est parvenue…

Elle est adressée à Alain Le Roux et signée Philippe Méziat..

St André de Cubzac, le 17 juillet 2001,

Mon cher Alain,

J¹ai encore les oreilles et le cŠur emplis de ces « Four Walls », qui ont emballé le public de Luz St
Sauveur le vendredi 6 juillet au soir, vers 23 heures. Mais d¹abord nommons-les, ces quatre murs
qui forment un monde pas tout à fait carré, et un groupe à l¹identique, à la fois tiré au cordeau,
avec juste ce qu¹il faut de lignes brisées pour ne pas lasser. Tu connais Phil Minton, vocaliste,
chanteur, musicien complet (il a participé à la reprise de « Escalator Over The Hill » de Carla Bley et
Paul Haines, il y a quelques années), bon. Mais avec lui on trouve un pianiste fabuleusement
doué, impeccable dans son rôle de compositeur et d¹arrangeur, à la fois précis et incontrôlable,
c¹est Veryan Veston, un nom à retenir, que dis-je, un nom à encenser ! Ajoute-y un bassiste
étonnant, à mi-chemin entre le pilier de rugby et le boxeur, non par la corpulence mais par la
façon dont il donne l¹impression de foncer tête en avant quand il joue (et quel jeu !), son nom c¹est
Luc Ex, et puis on termine par un batteur dont la précision n¹a d¹égale que le sens des couleurs et
de la frappe, il se nomme Michael Vatcher. Voilà, quatre saints sauveurs dans le pré, quatre
archanges du diable aussi, quatre versions de la perte et de la renaissance du signe, et même du
sens ! Alain, quel bonheur d¹entendre ces musiciens jouer ensemble à la décomposition du monde
et à sa reconstruction dans l¹art. J¹insiste, parce que je ne voudrais pas que tout cela se perde dans
la nuit d¹été, dans la nuit de notre temps, tu sais, un festival chasse l¹autre, un concert déconcerte
et puis, basta ! Il faudra dire encore dans de nombreux mois : avez-vous entendu, au moins une
fois, les « Four Walls » ? J¹ai pris l¹avis d¹un ami, tu le connais c¹est un photographe qui voit et
entend pas mal de choses en travaillant, et bien il m¹a dit textuellement que ce groupe c¹était une
des deux ou trois choses les plus exceptionnelles qui soient en ce moment.
Et s¹il faut insister un peu sur la musique, et laisser les adjectifs de côté, j’y reviens : ils terminent
leur concert sur un hymne anarchiste, à gorge déployée, qu’ils ont fait précéder par toute une série
de plaintes et de cris, ils ont fait croire à l¹inconsistance de tout, à l¹ivresse, au désespoir, à l¹ironie
suprême, ils ont fait preuve d¹une invraisemblable virtuosité ­ Phil Minton est un monstre, il est
labial, facial, guttural, buccal, nasal, dental, il siffle, se rengorge, éructe, crache, apostrophe,
miaule, titube, il n¹y a que les anglais pour oser ça, ce rapport fondamental de l¹homme à la bête,
avec cette langue qui est un océanŠ J’ajouterai que le public ne s¹y trompe pas, il faut le dire
quand même, car ce ne sont pas des spécialistes qui sont là, c¹est le public tu vois, eh bien dès la
fin du premier morceau on sent qu¹ils vont en redemander, de la musique comme ça, neuve et
éternelle à la fois.
Bientôt je dois partir vers Itxassou. Je veux te dire encore que le trio Michel Portal/Joey
Baron/Bruno Chevillon a plutôt très bien fonctionné. Comme je dois revoir notre bayonnais en
Avignon, puis à Marciac, ce sera une bonne chose de comparer. Mais là, avec un Chevillon musicien
jusqu¹au bout de l¹archet, et qui veille de surcroît sur Portal avec une rare intelligence, et un Joey
Baron non seulement hilare comme d¹habitude, mais encore très attentif à satisfaire son leader, on
a eu droit à une version très ouverte des musiques portaliennes. Ramon Lopez avait une carte
blanche, et je dois dire qu’ à la fin du festival elle était bien remplie, avec entre autres un excellent
duo avec Christine Wodraska (p). L¹orchestre de Pablo Cueco et Patricio Villaroel a enchanté par sa
musique précise et souple, le reste était plutôt du domaine festif. Les deux seules ombres sont
venues d¹un Claude Barthélémy Quartet à court d¹idées et peut-être de répétitions, et d¹un groupe
bruyamment à la mode, « Ceux qui marchent debout », qui n’ont guère convaincu que ceux qui
aiment la sono réglée à fond les manettes. Comme on voit, pour marcher et aller de l’avant, il ne
suffit pas de le dire. Mais je ne vais pas reprendre mon couplet sur les quatre murs : cogner et
connaître, c’est peut-être la même origineŠ