Chronique

François Guérif / Loustal

Film noir 2

Label / Distribution : BDMusic

Une femme lascive trône, appuyée négligemment sur le rebord de la scène, décolleté pigeonnant, cigarette à la main. En arrière plan, se dessine, en ombre chinoise, un homme coiffé d’un chapeau (un Borsalino sans doute) qui semble tenir en joue un invisible voyou. Les couleurs sont vives, les jeux d’ombres et de lumières très travaillés, la mise en scène minutieuse. Aucun doute : nous sommes dans l’univers de Loustal. Avec ce dessin, le dessinateur francilien illustre la couverture du beau coffret que consacrent les éditions BD Music aux films noirs. Au travers de deux courtes notices très documentées, François Guérif, éminent spécialiste du genre, nous raconte l’aventure du polar à la française dans les années 50 et 60 ainsi que la place de la Mafia dans les films américains à la même époque.

Un CD accompagne chacun des deux textes. Les thèmes sont tirés de films dont les titres ravivent les mémoires : Ascenseur pour l’Échafaud, Tirez sur le Pianiste, A bout de Souffle, L’équipée sauvage ou Anatomy Of A Murder [1]. Le jazz y est en majesté. On croise de nombreux musiciens de l’époque (Miles Davis, Art Blakey, Benny Golson, Barney Wilen, René Urtreger), des compositeurs célèbres (Paul Misraki, Georges Delerue, Michel Legrand, Henry Mancini, Johnny Mandel ou John Barry). On se replonge dans des dialogues truculents comme celui entre Jean Gabin et Françoise Rosay, que je ne résiste pas à vous restituer :
« J’t’envoie un mec cette semaine. »
« Et à quoi que je le reconnaîtrai ? »
« Un beau brun avec des petites bacchantes. Grand. L’air con. »
« Ça court les rues les grands cons. »
« Oui mais celui là, c’est un gabarit exceptionnel ! Si la connerie se mesurait, il servirait de mètre étalon ! Y serait à Sèvres ! » [2].

Les dessins de Loustal complètent admirablement l’ensemble. Dans des atmosphères en clair obscur, à grand renfort d’aplats de couleurs, il met en scène ses personnages dans des coins de rue sombres et déserts, des bars interlopes ou des chambres exiguës. On y croise des noceurs taciturnes, des flics au bout du rouleau, des gangsters en goguette et des femmes fatales, poitrine généreuse et rouge à lèvres carmin, une clope vissée sur un fume-cigarette.

par Julien Aunos // Publié le 5 février 2017

[1On doit la sélection musicale à Bruno Théol, directeur de la collection BD Music.

[2Le Cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961.