Chronique

Frank Rosolino/Carl Fontana

Trombone Heaven, Vancouver 1978

Label / Distribution : Uptown

Amateurs de trombone, ce disque est pour vous ! Mais il est sûr que vous placez déjà au plus haut de votre panthéon personnel ces deux grands de l’instrument, Carl Fontana et Frank Rosolino, dont cet enregistrement d’août 78 à Vancouver, au deuxième soir du Jazz Fortnight, devait marquer l’une des dernières rencontres.

Les deux hommes s’appréciaient et aimaient jouer ensemble : cela se sent vraiment dans ce concert intelligent et sensible où s’affrontent paisiblement, en toute confiance, « the fastest guns in the west ». Emouvant aussi quand on sait que Rosolino, doué d’un grand sens de l’humour, toujours audacieux dans son expression, ne rencontra jamais le succès que son talent méritait. Il devait trouver une fin tragique trois mois plus tard, en novembre. Il a d’ailleurs une vélocité parfois inquiétante, comme une exaspération tangible qui le rend imprévisible et… follement séduisant. Jamais on ne penserait tirer un tel son du trombone. Du style, une réelle technique (vibrato effectué par les lèvres et non par la coulisse), inventif à chaque note ou presque.
Carl Fontana lui fournit un subtil contrepoint, plus rond et en quelque sorte plus lascif sur les ballades, sans jamais s’amollir. Aucune emphase, aucune mièvrerie, la musique coule de source… (normal, avec avec un nom pareil).

Cet enregistrement de très bonne qualité capté par le musicien Jack Stafford offre seulement six compositions sur plus de 70. Soit toutes les vertus d’un live réussi. Fontana et Rosolino jouent vite et extraordinairement bien. Si les morceaux atteignent quinze minutes, le temps semble filer à tire-d’aile. Et quel choix judicieux que la musique de Dizzy, sur un tempo rapide, dans le « Ow » final, pour une course qui n’est jamais poursuite mais élan conjoint !

De ce flot continu, pacifique et tumultueux à la fois, naît un étrange emballement ; la section rythmique recrutée localement est d’ailleurs propulsée, galvanisée par ce duo de choc. C’est que les trombonistes ne jouent jamais l’un contre l’autre, mais s’enroulent, toujours plus près, tout contre, chacun anticipant ce que l’autre va dire : l’échange est idéal sur les ballades, où leur complémentarité est parfaite, Rosolino plus vif et imprévisible, Fontana plus souple et plus lisse - d’où cette impression d’accéder à ce « Trombone Heaven ». Ecoutez « Laura », « Embraceable You », la douceur de l’introduction de « Stardust » par Fontana après le jeu inattendu de Rosolino sur « Here That’s Rainy Day ».

Et si vraiment vous n’aimez pas le trombone, s’il n’éveille pas d’émotions fortes en vous, si vous n’êtes pas touché par la grâce de cette version chauffée à blanc de « Well you Needn’t » (Monk) ou d’« All Blues » (Miles Davis)… si rien n’y fait, alors il ne vous reste plus qu’à… consulter !

NB : Ajoutons qu’avec cette réédition par Uptown Flashback Series, les notes de pochette ont enfin retrouvé leur intérêt d’antan ; elles forment un petit livret qui vous apprendra tout ou presque sur le parcours des trombonistes et les conditions de ce concert. On peut même y lire des extraits du compte rendu du Vancouver Sun le lendemain. C’est dire !