Sur la platine

Frantz Loriot et l’arbre difficile


Lorsque quatre musiciens repérés depuis des années sur la scène improvisée zurichoise se mettent ensemble dans une formation nommée The Difficult Tree, le tout proposé uniquement en vinyle et sur Bandcamp par le label Wide Ear Records, connu pour ses sorties radicales, on s’attend à du bruit et de la fureur. C’est méconnaître le travail du contrebassiste Silvan Jaeger qui trouve ici à l’archet un oasis de quiétude, tout de même perlé d’îlots de rocaille.

Il est par ailleurs bien aidé par le jeu chambriste de Frantz Loriot dont l’alto semble fait pour la dynamique d’un 33 tours bien pressé au design spartiate mais à la musique luxuriante. Voire pleine de surprises : on passe en un instant d’une mélodie simple et aérienne, fruit de la légèreté de la trompette de Silvan Schmid à quelque chose de plus dur et râpeux comme le crin (« Skulldull »), le tout jusqu’au chant légèrement désincarné du contrebassiste. Les poésies de Silvan Jaeger sont troublantes, déclamées dans un souffle, d’une voix neutre, au milieu d’une alliance alto/trompette qui pourra faire penser à Marco Von Orelli.

Une atmosphère diablement lumineuse nimbe la libre discussion de The Difficult Tree. Si elle est souvent douce, elle peut parfois être crue. On ignore la raison qui a poussé l’arbre à être difficile, mais on comprend pourquoi l’album se nomme Double Sun (« double soleil ») tant la chaleur ne manque pas. L’arbre cache peut être la forêt, celle de Im Wald [1] où Loriot prend racine avec d’autre helvètes et capte toute les ombres. Dans un registre pourtant différent, il y a le même type d’étrangeté ; ce bois dont on fait les altos que Loriot a appris à sculpter à merveille

Est-ce un soleil par face ? L’évidence est que le disque a été construit pour être retourné à mi-course et offrir un paysage contrasté. Ne serait-ce pas plutôt un soleil par archet, le violon alto de Loriot se résumant parfois au simple bourdon (« Magnetplanet ») en opposition à un jeu plus construit sur la face B (« Double Sun ») où la légèreté du batteur Vincent Glanzmann ponctue la fusion des timbres des cordes et de la trompette  ? La réponse peut être différente selon l’angle de vue, comme dans les meilleurs kaléidoscopes.