Chronique

Fred Nardin Trio

Opening

Fred Nardin (p), Or Bareket (b), Leon Parker (dms).

Label / Distribution : Jazz Family

Le pianiste Frédéric Nardin est un musicien hyperactif. À trente ans, son tableau de chasse fait de lui un acteur très présent sur la scène jazz hexagonale. Il a été récompensé en 2016 par le Grand Prix Django Reinhardt. Il codirige depuis 2010, avec David Enhco, Jon Boutellier et Bastien Ballaz, The Amazing Keystone Big Band, une formation qui a su à la fois faire œuvre de pédagogie transverse auprès des jeunes publics (avec ses adaptations de Pierre & le Loup puis du Carnaval des Animaux, en attendant l’histoire de Django Reinhardt qui verra prochainement le jour) et la démonstration d’une force de frappe assez impressionnante (ce qu’on pourra vérifier avec le récent Live au Crescent). On le retrouve en action dans le Fred Nardin / Jon Boutellier Quartet qui a publié l’album Watts l’an passé. Il est un sideman recherché : Jean-Philippe Scali, Véronique Hermann Sambin, Stefano Di Battista … sans oublier sa présence à l’orgue Hammond aux côtés de Sophie Alour ou de Gaël Horellou, ni le Switch Trio pour lequel il est associé au guitariste Maxime Fougères et au contrebassiste Samuel Hubert. On arrêtera l’énumération : cherchez dans les agendas de la vie du jazz, vous trouverez son nom à coup sûr.

Avec Opening, Nardin franchit un nouveau cap avec un autre trio dont la rythmique est new new-yorkaise : Or Bareket à la contrebasse et Leon Parker à la batterie. Si on n’ose pas évoquer l’idée de maturité parce que le pianiste est encore jeune, force est de constater que son discours affirme une très belle santé et une présence de chaque instant, tant du point de vue rythmique qu’harmonique. On a surtout envie de souligner le sentiment de plénitude qui vous gagne à l’écoute d’une musique combinant le désir de porter en elle l’histoire du jazz et de raconter le monde d’aujourd’hui. En ce sens, Fred Nardin s’inscrit dans un mouvement qu’on peut qualifier de classique puisque revendicateur de l’héritage de ses aînés, comme celui de Mulgrew Miller (disparu en 2013) par exemple, à qui est dédié le très beau « The Giant » en ouverture du disque. Mais c’est aussi un conteur dont on perçoit toutes les qualités à travers un sens aigu de la narration. Auteur de mélodies d’une surprenante évidence comme autant de possibles standards (« Travel To… »), il est capable de susciter l’évasion en quelques ballades dont le chant se révèle persistant (« The Waltz », « Hope ») et de nourrir des conversations fiévreuses avec ses partenaires. Autant dire que ceux-ci relèvent volontiers le défi du groove que leur lance le pianiste.

Encore une fois, c’est de vie qu’il est question ici et Opening en tourne une page des plus vivifiantes. Et quand le trio reprend à son compte Thelonious Monk (« I Mean You », « Green Chimneys ») ou Cole Porter (« You’d Be So Nice To Come Home To), il en va de même. La musique semble couler de source et déborder d’énergie. Les trois musiciens sauront vous le dire : « Don’t Forget The Blues ». Parce qu’ils savent mieux que quiconque d’où vient la pulsation qui les habite.