Chronique

Free Desmyter Quartet

Something To Share

Free Desmyter (p), John Ruocco (cl, ts), Marek Patrman (dm), Manolo Cabras (b)

Label / Distribution : De Werf

Free Desmyter a mis du temps avant de sortir son premier album en tant que leader. C’est que le pianiste est perfectionniste et aime laisser mûrir ses idées. Avec Something To Share, on le sent également désireux de faire sonner un groupe et de raconter des histoires avec lui plutôt que de mettre en avant ses incontestables talents de soliste. C’est particulièrement évident sur le magnifique « Elegy », où le pianiste laisse plus de la moitié du morceau aux mains de John Ruocco (cl, ts), Manolo Cabras (b) et Marek Patrman (dm). Il faut dire qu’avec de tels musiciens, Desmyter se retrouve en très bonne compagnie.

Ruocco, souvent à la clarinette, développe les thèmes de façon magistrale. Il dépose les notes comme des jalons, des repères. Il montre la voie et donne des indices de jeu. Et quand le pianiste intervient, c’est comme s’il reliait chacun de ces points. Desmyter procède tantôt par touches légères, tantôt par jets fougueux. Ses phrases sont courtes, ponctuées de silences et de non-dits. Tout se raconte à demi-mots. Le discours est souvent profond et intense, comme sur « In Memory » (proposé ici en deux versions, dont une en solo) ou « Even », où une improvisation collective à la ligne de conduite claire révèle l’esprit de cohésion du groupe. Il y a une osmose et une écoute évidentes entre les quatre artistes.
Ceux-ci ne se contentent pas de suivre, mais inventent et proposent perpétuellement des idées nouvelles afin d’enrichir la conversation. Le drumming de Patrman est éblouissant d’intelligence, de subtilité ou de force. Et sa connivence avec le contrebassiste compose une rythmique de tout premier ordre.

Bien sûr, le quartet propose également quelques thèmes plus enlevés, tendance post-bop, jouant le rubato avec une aisance saisissante (« Thrill ») ou la polyrythmie avec une maîtrise sans faille (« Indulgence »). Le sens de l’improvisation qui flotte tout au long de ce disque irradie une tension permanente et une saveur de l’instant qui n’existe souvent qu’en « live ». C’est dire si cet enregistrement studio est une réussite. Desmyter a donc bien fait d’attendre pour offrir cet album d’une maturité extrême qui ne demande qu’à être partagé.