Chronique

Fumio Yasuda

On The Path Of Death And Life

Fumio Yasuda (p), Akimuse (voc), Nobuyoshi Ino (b), Stephan Winter (prise de son)

Label / Distribution : Winter & Winter/Harmonia Mundi

Dans l’Empire des signes, Roland Barthes écrivait à propos de Tokyo : « Visiter un lieu pour la première fois, c’est de la sorte commencer à l’écrire : l’adresse n’étant pas encore écrite, il faut bien qu’elle fonde elle-même sa propre écriture ». Le pianiste Fumio Yasuda a choisi la sienne. Ce sera une musique scénarisée par les sons de la ville. Avec le producteur et architecte sonore Stephan Winter, il propose une incursion au tréfonds de la magie de cette métropole tentaculaire. Sur « Novellette » qui ouvre l’album, un piano languide accompagne ce qu’on imagine être une déambulation dans un grand jardin public : coassement des corbeaux, vendeurs ambulants, chœur d’enfants, cloche de temple… Le temps s’écoule avec une douceur peu commune, rythmé par la contrebasse colorée de Nobuyoshi Ino, figure du jazz japonais aperçue avec Lester Bowie ou Sunny Murray, et la chanteuse Akimuse, dont la voix-instrument onirique lie les trois parties d’un pénétrant voyage.

Cet étonnant quartet et sa carte du tendre nippone ont connu un destin particulier. Habitué des disques voyageurs de Winter & Winter, Yasuda participait depuis 2010 en compagnie du photographe Nobuyoshi Araki à un travail audiovisuel autour du Japon. Le tsunami de mars 2011 a bouleversé le projet, et c’est avec une nostalgie presque mutique que nous cheminons à leur côté. Sur « Skyscape » et ses ambiances de rues et de temples ponctués par le chuchotis d’Akimuse, le toucher caressant de Yasuda évoque la même gamme d’émotions que l’Excelsior de Bill Carrothers. C’est le rail qui assure ici la maïeutique des souvenirs. Comme sur Orient-Express, où l’on retrouvait déjà Yasuda, l’esthétique du chemin de fer, centrale dans l’identité nippone, est omniprésente - voir le magnifique « Mahoroba » : on est résolument emporté par les trains qui filent, la musique des gares et le cahot souligné par la contrebasse.

Le drame qu’a vécu l’archipel nippon s’expose sans grandiloquence dans le dernier tiers du disque, le long du calme impitoyable de l’océan. La scansion éthérée de la chanteuse laisse place à une lamentation au cœur des vagues. Une retenue qui fait songer aux atmosphères d’Oshima. La narration de cette création sonore évacue tout pathos pour présenter la topographie sans fard (ni phare) d’une île de quiétude ceinturée de volcans. Si le Japon vous est familier, On The Path On Death And Life éveillera des images, des instants, des odeurs ; s’il vous est inconnu, il vous entraînera dans un récit plein de surprises et dressera un portrait charnel du Japon, loin des clichés clinquants d’un Cool Japan de façade. Pour tout cela, ありがとうございます(merci beaucoup), Fumio Yasuda !