Portrait

Geri Allen ou l’art discret de la transmission

Geri Allen incarnait une forme d’engagement total dans le jazz.


Photo : Michel Laborde

Geri Allen (Pontiac, 12 juin 1957 - Philadelphie, 27 juin 2017), pianiste et grande adepte du trio piano-basse-batterie, a développé une œuvre personnelle originale à la frontière de l’avant-garde et de la tradition. Plutôt discrète sur la scène jazz, elle a endossé le rôle de professeur de longues années, dirigeant le département Jazz de l’université de Pittsburgh.

Geri Allen par Léna Tritscher

Elle doit ce goût pour la transmission à ses deux mentors, Marcus Belgrave et Billy Taylor.
Marcus Belgrave la prend le premier sous son aile dans sa ville natale de Detroit. A ses côtés, elle participe à sa première tournée européenne, gagne en confiance et réalise la place qu’ont les autres musiques dans sa démarche artistique. Belgrave lui inculque qu’un bon pianiste doit savoir tout jouer, des musiques de bal à celle des bar-mitzvah. Cette ouverture vers l’autre la mènera en parallèle à se spécialiser en ethnomusicologie.
Quelques années plus tard, le disque Twillight confirmera cette ouverture, avec l’intégration de rythmes et de couleurs venues de loin et d’ailleurs.
Son deuxième mentor, le pianiste Billy Taylor enseigne dans de prestigieuses universités. Très présent à la télévision, il est surtout l’un des meilleurs ambassadeurs que le jazz ait connus.

Un nouveau souffle à la scène jazz

Geri Allen se montera plus discrète mais aura une carrière tout aussi brillante.
Sa notoriété grandit dans les années 1980 grâce à sa participation au collectif M’Base. Au côté de Steve Coleman et de Cassandra Wilson, elle fait partie de ce groupe de jeunes musiciens afro-américains qui vont apporter un nouveau souffle à la scène jazz. Leurs motivations étaient de développer de nouvelles formes d’expression et de créativité en puisant leur inspiration dans l’énergie créatrice des pionniers du bebop.
Son premier disque en trio sort en 1985, Printmaker. D’emblée, on y entend un jeu dont le sens du feeling, du groove et du placement rappellent le McCoy Tyner de la décennie précédente. Ses influences vont de Herbie Hancock à Cecil Taylor, Thelonious Monk et Bud Powell, mais aussi à la pop et à la soul. Ses influences très éclectiques en font une artiste emblématique des musiciens de sa génération dont les inspirations vont bien au-delà du jazz.
Son jeu puissant et son style flamboyant l’amèneront à s’acoquiner avec le funk quelques années plus tard sur le disque Open On All Sides - In the Middle. Elle sait se montrer également délicate lors de ses solos. Ses interventions sont inventives et appréciées, aussi bien dans ses relectures de standards que ses compositions personnelles.

Geri Allen aura fréquenté les plus grands, notamment Ornette Coleman, pourtant peu friand du piano. Elle l’accompagna le temps de quelques disques au milieu des années 90. Durant toute sa carrière, elle se paiera le luxe d’être accompagnée par quelques-unes des plus célèbres rythmiques de la scène jazz : Tony Williams et Ron Carter, Jack DeJohnette et Dave Holland, Charlie Haden et Paul Motian. Heureusement, les témoignages discographiques conservent une trace de ces rencontres.
Ces dernières années, elle se produisait régulièrement au sein d’un trio purement féminin à l’initiative de la batteuse Terri Lyne Carrington et avec la nouvelle étoile de la basse, Esperanza Spalding.