Chronique

Grand Six

De la Jungle

Bertrand Noël (dms), Guillaume « Doc » Thomachot (as, ss), Monsieur Gadou (g, baryton bavarois), Timo C. Metzemakers (b), Victor Michaud (cor), Yoann Loustalot (tp, bugle)

Label / Distribution : Le Petit Label

On avait découvert découvert Grand Six lors de différentes éditions du Bordeaux Jazz Festival, dirigé par Philippe Méziat, en 2002 et 2005. Sans doute le public bordelais se souvient-il encore de ce sextet original, d’allure et de style assez improbables. Le lien avec le quartet de François Chesnel est le trompettiste-bugliste Yoann Loustalot, que l’on retrouve ici nettement plus déjanté, entre fanfares, cirque et musique de chambre avec des montées d’émotion tangibles. S’il paraissait enclin à suivre un versant recueilli et mélancolique avec « Weill », Loustalot joue dans Grand Six un rôle plus épanoui, dérouler des volutes charnues, plus longues.

Ce Grand Six-ci est explosif et pourtant mélodique, entraînant, festif et loufoque, donnant l’impression d’une création continue, imprévisible, alors que tout est cadré par le maître d’équipage, Monsieur Gadou, guitariste et baryton bavarois (!). Une « conceptual continuity » anime l’album que l’on écoute tout uniment, embarqué dans un voyage au long cours qui nous ramène à Paris après une escale à Montréal. De la folie avant toute chose… mais réglée et souvent désopilante. Après un démarrage tonitruant, le charme opère avec « le léopard endormi », où les voix du trompettiste, du saxophoniste Guillaume « Doc » Thomachot et du corniste Vincent Michaud entrelacées dans cette mise en jeu, chantent désir ou plainte, sans contrarier la nature de leur instrument. Au coeur de cette jungle hollywoodienne de carton-pâte, observant de loin Jane ou Tarzan (le « Maharadjah et sa suite »), on se prélasse avec une nonchalance élégante, mais quelque peu élégiaque, sur le thème de Thomachot, « L’hésitation du naja ». Tous le bestiaire y passe et on se laisserait bien dévorer par ces animaux splendides, tant le sextet a la rutilance de fauves hésitant entre cage et brousse. Monsieur Gadou en Monsieur Loyal a-t-il pensé à Duke et au style « jungle » dans ses envolées cuivrées, arrangeant les chromes de sa belle machine avant de se lancer dans pareille aventure ?

Grand Six a beau ne compter que six membres, c’est un orchestre à lui seul, et qui sait évoquer certaines phalanges étrangères, bataves ou italiennes. C’est drôle, pétulant, lourd et léger à la fois, tout en ruptures, avec des thèmes virevoltants ou tristes, toujours lyriques, et talentueusement interprétés. Les envolées des solistes sur « Retour » rendent leur souplesse à une musique qui n’est jamais aussi prenante que quand elle est jouée en douceur. Signalons enfin que Monsieur Gadou a co-écrit les compositions avec le batteur Bertrand Noël ou le contrebassiste Timo C. Metzemakers.

Chapeau bas à ce beau travail d’équipe et cet amour bien compris du jazz, avec ce qu’il faut de distance pour le rendre plausible aujourd’hui.