Chronique

Gueorgui Kornazov & Leonardo Montana

Suznanie

Gueorgui Kornazov (tb), Leonardo Montana (p)

Label / Distribution : Autoproduction

On a beau chercher, fouiller, interroger sa mémoire, arpenter les rayonnages bourrés de surprises des médiathèques publiques et questionner les vieux sages, les duos trombone / piano ne sont pas légion, même en cherchant du côté de George Lewis qui, pourtant, a à peu près tout tenté pour l’instrument à coulisse. On recense de l’autre côté des Alpes War Orphans, du pianiste Claudio Cojaniz et du tromboniste Giancarlo Schiaffini. Pour le reste, la rareté est de mise, en tout cas sur un album entier. C’est dire l’originalité de la tâche que s’assignent Gueorgui Kornazov, leader du quintet Horizons et Leonardo Montana, pianiste du Triphase d’Anne Pacéo.

Le duo pourrait aussi faire preuve d’exotisme. Il n’est sans doute pas commun qu’un Bulgare joue en toute complicité avec un Brésilien. Mais ces deux musiciens sensibles vivent en France depuis des années ; ils ont eu maintes occasions de se croiser avant Suznanie (« conscience » en bugare). Il convient d’envisager comme une suite ces onze pièces composées et autoproduites par Kornazov. Une fois évoquées ces anecdotes historiques, reste la musique. Et dès les premières mesures - de pétulantes cascades harmoniques au piano - il est évident qu’elle balaie tout formalisme. Chaque morceau porte un nom bulgare qui en détermine la couleur : « Utrin » est le matin, chaud et cuivré, plein d’espoir, « Ochakvane » (attente) est plus méditatif. Montana va quérir dans les profondeurs de ses cordes la pulsation nécessaire pour soutenir le grand sens mélodique de Kornazov, agile et plein de douceur.

Le sens rythmique du pianiste et permet à son comparse de multiplier les effets d’embouchure et de sourdine qui altèrent le timbre pour mieux lui donner de la profondeur, comme sur l’étourdissant « Poriv » (« exhorter ») : le trombone semble filtrer à travers un déluge d’accords pilonnés. Sur « Strast » (« passion »), les rôles s’équilibrent, s’échangent parfois lorsqu’il se lance dans un growl impétueux. Le thème, lumineux de simplicité, circule malicieusement entre les deux solistes, dont on partage l’évidente jubilation. Que ce soit au sein d’Horizons ou sur Sila, enregistré en sextet, Kornazov n’avait jamais fait appel au piano. A l’écoute de « Vechnost » (« éternité »), on perçoit pourtant bien son rapport très intime avec cet instrument, qui suscite plus de poésie qu’à l’accoutumée. On imagine un Horizons élargi à Montana. Après ce bel album, la question se pose avec acuité.