Chronique

Gunter Hampel

The Essence in the Nowness of Reality

Gunter Hampel (bcl, fl, vib), Sabir Mateen (ts, cl, fl), Daniel Carter (as, tp, ss), Steve Swell (tb), Johannes Schleirmacher (ts), Andreas Lang (b), Bernd Oezsevim (dm)

Label / Distribution : Birth

Gunter Hampel est un drôle de numéro. A 74 ans, toutes les photos qu’on peut dénicher de lui montrent un éternel adolescent portant fièrement le blouson de cuir, un casque de baladeur vissé autour du cou, une casquette portée à l’envers ou un bonnet plus en vogue chez les amateurs de hip hop que chez les fondus de free jazz.

Son parcours musical est tout aussi inattendu, en ligne brisée, ponctué de voyages. Dès 1958, il parcourt l’Europe et joue le répertoire des plus grands : les thèmes d’Ellington, Monk, Parker et Shearing seront son école. Il joue avec quantité de musiciens : Benny Waters, Frederic Noren, Jaki Liebezeit (le légendaire batteur de Can), Udo Lindenberg. L’homme a l’esprit ouvert et le goût musical large. Avant de partir tourner en Afrique à la fin des années 60, il fonde le Heartplants Quintet avec Manfred Schoof, Alexander Von Schlippenbach, Buschie Niebergall et Pierre Courbois. La critique est élogieuse. Il rencontre aussi tout ce que l’histoire du jazz compte de grands hommes dans les Sixties. Puis, de 1969 à 1992, il s’exile à New York. Il y épouse Jeanne Lee, joue avec Sun Ra ou Anthony Braxton. Belle histoire, qu’il continue d’écrire en Europe et en Allemagne, une fois le mur de la honte abattu.

En 2011, la musique de Gunter Hampel manifeste toujours autant de fougue, de jeunesse, d’envie de vivre. Il enregistre avec ses musiciens en totale autonomie et publie ses disques sur Birth, son propre label, âgé de plus de quarante ans. L’entreprise - forcément modeste d’un point de vue économique, à l’échelle de l’industrie musicale - est un franc succès en termes artistiques et sur le plan de l’indépendance. Énorme pied de nez aux lois du business musical, la petite entreprise de Hampel devrait redonner du courage à tous les musiciens qui rêvent de liberté et d’indépendance.

Et la musique alors ? Venons-y. Le titre un rien amphigourique, The Essence in the Nowness of Reality, dit sûrement combien ce disque est décidée à ne pas vieillir. Le line-up, superbe, est mixte : moitié berlinois, moité new-yorkais. Côté américain, on retrouve les essentiels Sabir Mateen aux sax ténor, à la flûte et à la clarinette, Steve Swell au trombone et Daniel Carter aux sax alto et soprano et à la trompette. Côté allemand, Hampel joue avec des musiciens qui sont aussi des complices de longue date : Johannes Schleiermacher et son énergique sax ténor, tandis qu’Andreas Lang tient la contrebasse et que Bernd Oezsevim excelle à la batterie. Si l’on considère que l’Allemand Hampel a passé de longues années dans le milieu free new-yorkais, on comprendra sans mal qu’il forme un trait d’union idéal dans un septet équilibré, réunissant vétérans américains et jeunes pousses européennes.

Les compositions, toutes signées Hampel, sont d’obédience nettement free, de celui qui joignait à la radicalité des gestes esthétiques de fortes convictions politiques. Ce free-là joue pourtant sur les contrastes et les demi-teintes. « Mutual Understanding » avance à pas de loup : tapis de vibraphone sur nappes légères et furtives d’instruments à anches, jeu de toms légèrement déboîté, tout en subtilité. Au détour d’une improvisation collective intervient souvent un fragment de thème qu’on dirait emprunté à la bande-son d’un film noir tardif des années 60 ou 70 (« The Essence »). Si les tempos sont plutôt modérés, tous ces éléments y circulent à grande vitesse : jamais le septet ne s’appesantit ; il évolue au contraire avec une élégance de tous les instants. Les deux longs morceaux d’ouverture, « The Next Step » et « Take This », en témoignent. Ailleurs, Hampel s’aventure en territoire plus hétérogène, presque africain, quand les vents crissent sur une batterie tribale (« The Healing Angels ») ou que le raffut collectif revient aux fondamentaux du bop (« Tamed Monsters »). Dans tous les cas, ce septet à cheval sur deux continents démontre une spontanéité jamais expéditive et une générosité qui font de cet enregistrement un témoignage étourdissant de vitalité.