Chronique

Harald Haerter

CatScan II

Harald Haerter (g), Florian Stoffner (g), Bänz Oester (b), Marcel Papaux (dm), Michael Brecker (ts), Joe Lovano (ts), Chris Potter (ts), Erik Truffaz (tp), Nils Petter Molvaer (tp), Philipp Schaufelberger (g), Florian Goette (b), Ernst Ströer (perc)

Label / Distribution : Unit Records

Le nom d’Harald Harter n’évoquera pas forcément grand-chose au premier abord ; peut-être ira-t-on même jusqu’à imaginer quelque orchestre de flonflon bavarois à l’époque de l’Oktoberfest. Erreur regrettable que de délaisser ce disque de rentrée car outre un guitariste aux accents scofieldiens, on risque de passer à côté d’une théorie de noms prestigieux, partenaires réguliers de tournée : Michael Brecker [1], Joe Lovano et Chris Potter pour une certaine conception du saxophone ténor ; Erik Truffaz et Nils Petter Molvaer pour le versant trompette électro. Plus encore, CatScan [2] doit aussi être perçu comme un faisceau de différentes vues sur un univers musical méconnu en France mais apparemment beaucoup plus affirmé en Europe.

Tout commence par quelques notes de guitares fortement réverbérées ; les lointains duos de Robert Fripp et Andy Summers semblent rôder, presque incongrus. Puis, sur le morceau-titre, un climat truffazien s’installe. De longues plaintes de trompette se posent sur un groove traînant : de quoi rappeler certaines ambiances de Mantis ou The Walk of the Giant Turtle [3]. Mais, on sent aussi une folie supplémentaire par rapport à la musique un peu trop cadrée du trompettiste suisse. Haerter et son alter ego Florian Stoffner créent un tapis sonore presque imperceptible mais extrêmement riche et touffus. Le court « Lulas » illustre aussi ce processus de stratification du son où les guitares miaulent et parfois feulent, inquiétants et sombres cris d’une jungle où surgit un étonnant Joe Lovano électro-rock.

Le reste appartient plus à une certaine tradition jazzistique, disons néo-bop pour être large. Néanmoins on y retrouve les qualités évoquées précédemment. A la première écoute on peut être surpris par la parenté entre jeu (et le son) d’Haerter et celui de Scofield. Par exemple le thème « Mute », tendre et taquin, semble sorti tout droit de Meant to Be [4] bien que quelques accents de noirceur, en particulier dans le solo de guitare, montrent que Haerter suit une voie musicale bien personnelle.

Car passée cette proximité frappante, les longues progressions que l’on retrouve dans la plupart des morceaux (frôlant ou dépassant les 10 minutes pour quatre d’entre eux) traduisent une expression très libre de son discours musical. Les improvisations de guitare ne sont pas forcément les plus singulières, à mi-chemin entre Larry Coryell [5] (« GBT »), Sco (« Mister Mouster ») et des passages plus rock (« Cosmic »). Mais encore une fois, les guitares servent essentiellement le propos des solistes, et parmi ceux-ci, Michael Brecker offre peut-être un de ses plus exceptionnels chorus avec « GBT », enregistré en public. Dans ce chant du cygne de plus de cinq minutes, commençant comme un swing à la « Airegin » [6], tout son génie et sa sensibilité s’expriment tour à tour, entre phrases supersoniques, harmoniques survitaminées, hurlements rauques/aigus et atonalités bouleversantes. Il faut dire que pour cela, la section rythmique (Oester/Papaux) et les raclements de six cordes fournissent un tremplin exceptionnel.

CatScan mérite une investigation approfondie, de par sa densité musicale et une certaine profondeur grave. Grand disque malade, comme diraient certains critiques de cinéma, il laisse presque entendre le dernier souffle de Michael Brecker, mais révèle aussi un musicien original, créateur de climats troubles et animé d’une belle énergie.

par Julien Lefèvre // Publié le 1er octobre 2007

[1Dont il est précisé qu’il s’agit du dernier enregistrement en public.

[2De « Computed Axial Tomography », nom technique du scanner.

[3D’Erik Truffaz, sortis respectivement en 2001 et 2003.

[4Un des très bons disques de Scofield en quartet avec Joe Lovano, enregistré en 1990.

[5On se rappellera quand même, les oreilles émues, son incroyable duo avec Elvin Jones sur « Stiffneck » (Lady Coryell).

[6Standard de Sonny Rollins.