Entretien

Henning Lohner : Souvenirs de Zappa

Frank Zappa © Henning Lohner

Assistant de Karlheinz Stockhausen, Henning Lohner est à l’origine du projet Yellow Shark dont il était le coproducteur. Dans les dernières années de Frank Zappa, il était l’un de ses proches ; ce sont ses photos qui illustrent la plupart des articles de Zappa sur Citizen Jazz. Après avoir répondu à nos questions sur l’œuvre du guitariste et compositeur, nous lui avons proposé de nous confier quelques souvenirs de cette époque si riche et révélatrice, quoique crépusculaire.

- Vous avez rencontré Zappa dans les années 1980 et avez collaboré étroitement avec lui jusqu’à son dernier souffle. Pourriez-vous nous raconter votre première rencontre avec le compositeur ?

Frank avait rencontré le compositeur Karlheinz Stockhausen en 1958 lors de la venue de Stockhausen à Los Angeles ; Frank a toujours été un grand admirateur de la musique de Stockhausen et l’a exprimé dans des entretiens publiés. Je travaillais en tant qu’assistant de Stockhausen de 1984 à 1989 et à un moment donné, Stockhausen m’a dit que je devrais appeler Zappa. Pendant que nous mettions en scène l’opéra Licht de Stockhausen à La Scala de Milan à l’automne 1988, j’ai reçu un mot me disant d’aller rencontrer Zappa à Brème, en Allemagne, où il était en tournée et qui, par coïncidence, est ma ville natale.

J’ai pris l’avion pour Brème et on m’a guidé à travers la foule dans les coulisses. Après avoir traversé de nombreux couloirs bondés de monde, on m’a enfin « fait passer » une porte ouverte derrière laquelle était assis Zappa, seul, en train de travailler sur la liste des chansons du soir. Nous sommes venus immédiatement à parler de la situation de la musique dite « contemporaine (classique) », dont il maîtrisait parfaitement le sujet.

Comme nous parlions des différents compositeurs que nous connaissions et aimions, il a commencé à se moquer musicalement de chacun d’entre eux en imitant leur style d’écriture, en chantant et en faisant des gestes. C’était très, très drôle, un grand moment. Enfin, nous sommes venus à Iannis Xenakis et Zappa faisait des bonds de tout son corps dans la pièce pour montrer la complexité du style d’écriture si particulier de Xenakis. J’ai ensuite avoué à Zappa que j’avais été son unique étudiant personnel depuis 1985, et qu’il était en fait mon mentor. J’ai dit cela pour le féliciter de sa connaissance aiguisée de la musique de Xenakis. Mais Zappa eu l’air un peu gêné de s’être moqué d’un homme aussi important dans l’histoire de la musique qui était si proche de moi et de mon développement musical, si bien qu’il se confondit en excuses. Tout se passait dans la bonne humeur, cependant, et au bout de trente minutes de conversation, Zappa me dit : « Pourquoi n’arrêterais-tu pas de travailler pour Stockhausen et ne viendrais-tu pas travailler pour moi ? » C’est effectivement ce qui s’est passé, en effet. Nous nous sommes salués et je suis allé écouter le concert.

Les fans de Zappa sauront que dans chaque concert, quelqu’un du public devait crier : « Quel est le mot secret du soir ? », et Zappa devait ensuite faire deviner le mot dans la musique qu’il jouait ce soir-là. Imaginez ma surprise et le plaisir que j’ai eu quand la question est tombée et que Zappa a répondu : « Le mot magique de ce soir est : Xenakis » - et immédiatement, la totalité du groupe à commencé à jouer, à chanter et à gesticuler de la même façon que celle que Zappa venait juste de me faire dans sa loge. Et donc, le concert fut donné toute la soirée et à chaque fois que Zappa criait « Xenakis », tout le monde sur scène se transformait en « Xenakis-fou » !

- Quel sentiment, quel souvenir garderez-vous gravé à jamais ?

Zappa avait un cœur d’or, profondément authentique. Parmi ceux qui l’ont connu personnellement, « l’Accolade Zappa » était légendaire. C’était une accolade merveilleuse, douce et légère qui portait le poids d’une amitié et d’un amour véritable.

- Avez-vous une anecdote mémorable à propos de Zappa, du temps où vous travailliez ensemble ?

Il y en a tellement… mais les meilleurs moments étaient de voir Zappa s’amuser à faire de la musique. Quelques-uns de ces moments sont captés dans les photographies qui ont été récemment publiées aux PURH1. Mais je vais partager une histoire qui me vient à l’esprit.
Zappa adorait les blagues politiques :
« Gorbatchev, Thatcher et Kohl sont dans un quiz télé, et la question est la suivante :
« Combien de L y a-t-il dans votre hymne national ?
Gorbi répond en premier comme un boulet de canon :
« 3 ! »
« Ah d’accord, répond l’animateur, excellente réponse, correcte. »
Puis c’est au tour de Thatcher…Elle pense et prend son temps, fredonne la mélodie, et dit finalement : 
« 23. »
« Ah super, correct, merveilleux, et maintenant à vous Chancelier Kohl ? »
Alors Kohl commence à penser et à penser, le temps paraît interminable, et il pense, pense et pense encore… et finit par dire :
« 457 ! »
Tout le monde est surpris ! Alors l’animateur demande au Chancelier Kohl :
« Comment diable avez-vous fait pour en arriver à un tel nombre ?? »
Et Kohl répondit en chantant à voix haute :
« la lalala la la la lalala… »

- En tant que compositeur, êtes-vous influencé par Zappa ? Si oui, dans quelle mesure ?

Dans chaque note que j’écris et écrirai !