Scènes

Herbie Hancock philosophe ?

Concert de clôture de la « Journée internationale de la philosophie » organisée à Paris par l’Unesco.


Le jeudi 21 novembre dernier se tenait, au siège de l’UNESCO à Paris, la « Journée Internationale de la Philosophie ».

Cette journée a donné lieu à une série de conférences et de tables rondes sur des thèmes aussi divers que « La culture à l’épreuve de la mondialisation », « La question de la création », « Philosophie et Interculturalité », ou « L’épistémologie sans connaissance et sans croyance », ainsi qu’à des débats auxquels participaient une quarantaine de philosophes de renommée internationale, parmi lesquels Edgar Morin, Guy Samama ou Yves Michaud pour la France.

Mais comme c’est dorénavant assez régulièrement le cas, les organisateurs de l’événement avaient également eu la bonne idée de permettre à tous ces brillants esprits, échauffés par une journée d’intense réflexion, de venir se dégourdir les neurones dans la grande salle de conférence, au son d’une formation pour le moins exceptionnelle : Le Thelonious Monk Institute Band, dirigé par Monsieur Herbie Hancock.

Dans le but probable d’assurer la continuité thématique avec la journée qui s’achevait, le concert fut précédé d’un dialogue entre Herbie Hancock et Thelonious Monk Jr. (qui pour l’occasion avaient demandé à Winton Marsalis l’adresse de son tailleur) grâce à l’entremise d’une conférencière apparemment subjuguée. Extraits choisis de réponses :

H.H. : « Jazz is improvised, that’s the key component, you’re constantly creative. It requires listening, trust in yourself, a sense of acceptance that whatever you play is reality and you try to make it work » (tr. : Le jazz est improvisé, c’est l’élément clé, vous êtes constamment créatif. Cela nécessite de l’écoute, de la confiance en soi, une acceptation du fait que ce que vous jouez appartient à la réalité et que vous essayez de le faire fonctionner).

T.M.Jr. : « Jazz is the R&D of western music, spontaneous, unknown, which needs a certain vocabulary, and cooperation » (tr. : Le jazz est le département Recherche et Développement de la musique de l’ouest, spontanée, inconnue, qui a besoin d’un certain vocabulaire, et de coopération.)

H.H : « When I play, the things I’ve learnt, I try to put them in the background. Playing is constantly a learning process. » (tr. : Lorsque je joue, je mets en arrière plan toutes les choses apprises. Jouer est un processus constant d’apprentissage.)

T.M.Jr : « Jazz is the one idiom that takes things altogether, what we call our « bag of tricks », in order to speak a universal language. What you’re trying to do is to tell your truth. » (tr. : Le jazz est l’idiome qui rassemble toutes choses, ce que nous appelons notre « sac à malices », dans le but de parler un langage universel. Ce que vous essayez de faire, c’est d’énoncer votre vérité).

H.H. : « Jazz fosters a certain type of values. First of them, courage… » (tr. : Le jazz favorise un certain type de valeurs. La première d’entre elles, le courage…)

T.M.Jr. : « The message is : « Think for Yourself ! » & « The individual is as important as the group ! » (tr. : Le message est « Pensez par vous-mêmes ! » et « L’individu est aussi important que le groupe ! »)*

Et la conférencière émerveillée de proposer alors d’étayer ces propos avec un peu de musique…

Tout d’abord une véritable leçon de musique, sous la forme d’une improvisation solo d’un de ses thèmes, « Dolphin Dance »**. Du Hancock pour ainsi dire magistral, sans pour autant dire docte.
Arrive alors sur scène la rythmique, composée de Massimo Biolcatti (contrebasse), Ferenc Nemeth (batterie), pour un excellent arrangement de « Night and Day » (Cole Porter) par le guitariste, Lionel Loueke. Malgré une légère tension (la présence du Maitre ?), la proposition est magnifique, de maîtrise et d’humilité.
Une « section » se présente ensuite, formée d’un trio de « voix » : Dayna Stephens (saxophone ténor), Nickolas Vagenas (trombone) et Gretchen Parlato (chant). L’étonnante formation nous propose alors une interprétation féerique de « Maiden Voyage » d’Hancock (les paroles de sa sœur, je crois), que je rapprocherais personnellement de l’univers de Björk. (Maintenant, ce que j’en pense…)
Puis c’est enfin Yoon Seung Cho qui vient remplacer Herbie Hancock au piano, pour un autre arrangement de Lionel Loueke, sur « Footprints » . L’entrée en matière du guitariste sur ce thème a d’ailleurs été un moment fort de ce concert, avec une digression vers la musique d’Afrique de l’Ouest merveilleusement assumée et réussie, pour un retour vers une interprétation efficace et sans faille du thème de Wayne Shorter, époustouflant.

Le reste des performances, et en particulier une bossa légèrement maladroite, laissera un peu sur sa faim le spectateur qu’on avait si bien appâté. Le concert se conclura de lui-même peu de temps après avec le retour de Herbie Hancock pour un dernier standard.

Alors passons sur l’ambiance légèrement « happy few » de ce concert (toute relative, la salle était immense, et pleine), passons sur l’acoustique de cathédrale de l’endroit, remercions l’UNESCO d’avoir de si brillantes idées, et gageons que nous ne tarderons pas à retrouver de tels talents très bientôt sur une autre scène.

par Evrim Evci // Publié le 26 novembre 2002
P.-S. :
  •  : traduction approximative effectuée par mes soins.
  • * : je dois avouer que j’écris de mémoire, mon stylo m’ayant lâchement abandonné à ce moment précis de la soirée. Si un lecteur note une erreur, qu’il me la signale, merci.