Chronique

Hot 8 Brass Band

On The Spot

Alfred “Uganda” Roberts (perc), Dr. Michael White (cl), Terrell ‘Burger’ Batiste (tp), Bennie Pete (soubassophone, lead), divers

Label / Distribution : Tru Thoughts

Qu’est-ce qui fait la différence entre une fanfare de La Nouvelle-Orléans et une autre ?
Aux côtés des jubilatoires Dirty Dozen Brass Band, Soul Rebels et autres Preservation Hall Jazz Band, ce marching band se distingue par un son encore plus authentique et naturel. Leur nouvel album en est la preuve : aucun ajout d’instrument supplémentaire, uniquement les cuivres, les tambours et les voix, comme on peut les voir défilant dans la rue (notamment dans la terrible série télévisée « Treme », où on les croise au fil des quatre saisons, dans le quotidien tragique de l’après-Katrina, l’ouragan dévastateur de 2006).

Perfection des vamps et des riffs, soubassophone tellurique, solos décapants d’un saxophone de-ci ou d’une trompette de-là, sans oublier une clarinette déchirante sur le bon vieux « St James Infirmary » (jouée ici dans le « vieux style » par le « docteur » Michael White, représentant de la vieille école) : tous les ingrédients cuivrés de la tradition sont là et bien là. Le titre de l’album fait d’ailleurs référence à ces rares moments où, dans la tradition néo-orléanaise, un marching band arrête de défiler tout en jouant de plus belle !

Évidemment, le tout ne tiendrait pas sans cette sacrée clave néo-orléanaise : cette formule rythmique caribéenne principalement héritée de Congo Square [1], mixée avec des inflexions latines issues de la colonisation hispanique, est magnifiée par les batteurs harnachés de caisse claire (hypnotique) et cymbales (ensorcelantes).
Et puis il y a ce ne je-ne-sais-quoi de hip-hop à même de séduire les jeunes générations : interjections, raps en onomatopées, slogans déclamés comme autant de cris de colère (ils ont tout de même vécu la mort violente de l’un de leurs fondateurs, dans cet antre du capitalisme sauvage) et de joie (la signature sur le label anglais Tru Thoughts est d’ailleurs une preuve de leur engagement sur la planète groove).

Comme sur les précédents albums, un standard de pop est recalibré à leur façon. Après « Sexual Healing » de Marvin Gaye et « Ghost Town » des Specials sur les précédents albums, c’est « Sweetest Taboo » de Sade qui fait l’objet d’un traitement fanfaresque des plus sensuels.
Car « la » Hot 8 (les anglicistes auront perçu le calembour avec la « chaude haine » !) c’est aussi tout naturellement du bon vieux funk de NOLA : le disque monte d’ailleurs en tension jusqu’au dernier titre « Keepin’ It Funky », propulsé par la science de la syncope de Alfred « Uganda » Roberts, compagnon de toute du meilleur de la Crescent City (Allen Toussaint, The Meters…).

« Funk » serait d’ailleurs un mot d’origine Congo désignant les sécrétions corporelles issues de l’acte sexuel. Du vrai jazz donc.

par Laurent Dussutour // Publié le 1er octobre 2017

[1La place où se tenaient les rassemblements d’esclaves les dimanches au temps de l’horreur servile.