Chronique

I Am Three

Mingus Mingus Mingus

Silke Eberhard (as), Nikolaus Neuser (tp), Christian Marien (dms)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

C’est un double clin d’œil qui aiguille le trio allemand I Am Three pour cette revisitation du répertoire de Charles Mingus. Avant tout parce que le nom du groupe est tirée de l’incipit de Moins qu’un chien, l’indispensable autobiographie du contrebassiste, et que cette triple personnalité supposée se retrouve ici dans un orchestre jouant d’une manière si compacte qu’il pourrait n’être qu’un seul. Il y a enfin le titre de l’album Mingus Mingus Mingus, trois fois, donc, comme si chacun s’en attribuait une part de choix… C’est surtout trois cinquièmes du nom d’un des rares albums en big band du Maître : sacrée gageure pour une formation réduite à l’extrême ; comment attester de l’orgie mingusienne à trois ?

Il faut compter pour cela sur la formidable complicité qui anime la saxophoniste Silke Eberhard et le trompettiste Nikolaus Neuser. Sur un classique tel « Moanin’ », l’alto claque avec autorité pour poser une rythmique suivie avec âpreté par le batteur Christian Marien, véritable animateur de la scène berlinoise. Les deux soufflants se répondent avec rugosité, parvenant à retranscrire le côté fort anguleux de Mingus sans pour autant chercher à s’inscrire dans une sage relecture patrimoniale. Eberhard et Neuser se connaissent bien. Ils dirigent tous deux le quintet Pink Elephant qui a fait paraître en début d’année un premier album chez Jazzwerkstatt. La saxophoniste est par ailleurs connue pour son érudition sur l’œuvre de Dolphy, qu’elle explore avec son groupe Potsa Lotsa où l’on retrouve aussi le trompettiste. On ne sera pas étonné de dénicher quelques atomes dolphyens dans le nerveux « Fables of Faubus » où le jeu de sourdine de Neuser impressionne.

Les morceaux, tirés de nombreux disques mais s’attardant principalement sur Mingus Ah-Um sont certes arrangés collectivement, mais l’on sent que la patte d’Eberhard prédomine. Sur « Better Get Hit In Yo’ Soul », elle privilégie l’énergie ; la batterie, à force de breakbeats très appuyés qui pallient l’absence de basse, se trouve même quelques proximités avec le rock pour mieux souligner la grande liberté de ses compagnons. Il est de plus en plus commun de rendre hommage à un jazzman en constituant des orchestres sans l’instrument principal, et I Am Three se situe dans cette tendance. Silke Eberhard et ses amis parviennent ainsi à mettre en lumière l’une des plus belles facettes de Mingus : un compositeur pugnace et sans concession.