Chronique

I. Overdrive Trio et Marcel Kanche

Et vint un mec d’outre saison

Marcel Kanche (voc, el org) ; Philippe Gordiani (g) ; Rémi Gaudillat (tp, bugle, org) ; Bruno Tocanne (dm)

Label / Distribution : Cristal Records

Marcel Kanche n’est pas un chanteur de jazz.
L’aimable et discret artisan se voit plutôt accoler les épithètes boisées liées au folk ou celles, urbaines et électriques, du rock façon punk.
Pourtant, ayant traîné avec John Greaves, Vincent Segal, Akosh S., s’il n’est pas à proprement parler de la famille il serait difficile, avec d’aussi excellentes fréquentations, de ne pas le classer parmi les proches.
Si l’on ajoute à cela qu’il se promène maintenant en compagnie du batteur Bruno Tocanne - bien connu et apprécié ici - il ne fera plus grand doute que ladite famille se fera un plaisir de le compter parmi ses membres.
Porté par l’I.Overdrive Trio du susnommé frappeur de fûts - groupe formé en vue, comme son nom l’indique, de se frotter aux Pink Floyd première et dérangée manière, celle de Syd Barrett - Marcel Kanche s’attaque à un conséquent morceau de patrimoine en la défunte personne de Léo Ferré.

Qu’on se rassure, de la douzaine de titres - dont un inédit - de reprises du maître on n’a pas fait ici un sinistre monument aux morts, non plus qu’un hommage respectueux façon Grévin. L’hommage ne se fait pas au papier calque, plutôt au papier de verre.
Rêche, donc, mais sans le saccage gratuit du petit malin qui trouverait dans le simple irrespect matière à galons.

On entendra donc ici des chansons - très connues pour certaines – n’entretenant qu’un rapport assez lointain avec la mélodie d’origine, l’interprétation de Marcel Kanche jouant surtout sur le registre du détachement - sans doute nécessaire tant il paraîtrait suicidaire de chercher à concurrencer Ferré dans le lyrisme. Dans cet ordre d’idée s’esquisse une fine citation de Gainsbourg, dans un « Chien » ramassé comme prêt à mordre, et se devine, ici ou là, le fantôme de Bashung. Les grands distants élégants de la chanson française.

Autour de la voix, une trompette sobre et fière, portant haut et avec majesté sa mélancolie. Pas du genre à pleurnicher, le pavillon majestueusement dressé, elle sait aussi secouer sa colère. La guitare, à la fois nerveuse et sensible, sait faire lever des sentiments qui serrent le plexus comme un implacable corset. Un jeu de corde rampant, ondulant, pas démonstratif pour deux sous. On ne va pas non plus agiter l’étendard pour vous sauter à la gueule.

La batterie se pose en métronome puissant d’un chaos ondulant. Métronome paradoxal qui à la fois l’encadre et le redouble. Les cymbales légères au-dessus, les peaux qui l’ancrent. Compte-à-rebours d’une explosion toujours à venir et dont la violence se diffuse en nervures à fleur de sol, n’apparaît pas, ne s’exhibe pas.
Cette violence-là a sa pudeur.

« La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe » entend-on dans une « Préface » sous tension. Mais ici, c’est fièrement qu’elle rampe, sur le sol, dans la terre, racine ondulante et prête aux crocs.
Le Vieux Lion, façon portrait chinois pour Kanche et ses compères, est un serpent.