Scènes

Inmediato, création à Colomiers

Les 22 et 23 janvier, Jean-Marc Padovani et Vicente Pradal présentaient leur création commune « Inmediato » à l’auditorium Jean Cayrou de Colomiers.


Aux deux extrêmes de la scène, les trois Pradal. Le fils, Rafael, allure de novillero en costume d’ombres, le piano en guise de Miura. Le père, Vicente, assis, l’émotion palpable. La colombe, Paloma, corsage écarlate sur fond noir - sang et nuit. Au centre, Jean-Marc Padovani, l’alto et le soprano devant lui, et Laurent Paris, qui n’est pas là seulement parce que son nom commence par un « P » ; une batterie particulière, sans caisse claire mais avec djembé, tambourins, udu. Assis sur un cajón.

Jean-Marc Padovani © Michel Laborde / Objectif Jazz

Velours, l’ouverture au sax alto. Feutre, la voix de Vicente Pradal – arrière-goût de Paco Ibáñez – qui reprend, rythme de valse, chante la campagne andalouse. Satin, celle de Paloma Pradal, à la fois mate et lumineuse. Un break, le sax part dans la campagne jazz, escorté de palmas, puis la valse revient et s’en va. On change. Soleá ? Soleá : le zapateo se joint aux palmas. Cajón et tambour entrent dans la danse. Paloma et Vicente à la tierce, l’alliance des deux grains de voix différents produit un relief, une texture ; le piano trouve des réminiscences « lorca-ïennes », à mi-chemin entre flamenco et mélodie française.

Padovani, Pradal : on se demande comment ces deux-là ont mis tant de temps avant de se trouver ensemble sur une scène. Toulousains, l’un de naissance, l’autre d’adoption. Sudistes enragés l’un comme l’autre, joueurs de soleil et d’ombre ; et si Pradal a peu flirté avec le jazz - bien que Renaud Garcia Fons ait joué sur La Nuit obscure - , Padovani en revanche entretient une relation suivie avec le flamenco : de Tres horas de sol en 1987 aux multiples explorations des chansons de García Lorca [1], en passant par les escapades en compagnie de Chano Domínguez ou son long compagnonnage avec le batteur Ramón López.

Leur rencontre se veut sans prétention : une sorte d’auberge espagnole où chacun apporte ses spécialités en toute générosité. L’un compose pour l’occasion un nouveau titre, « Inmediato », introduction aux mailloches qui rappelle « Fleurette africaine », mélodie aux accents ibériques mâtinés de West Coast ; l’autre reprend por tientos-tangos : « El pocito inmediato » de Miguel Poveda. Dans l’assistance, on voit des têtes marquer la mesure, des épaules chalouper.

Puis restent en scène, seuls, le sax et la chanteuse. A capella, elle entonne une toná [2] : « No te rebele serrana… » , c’est « La Fragua », la Forge, cela parle d’amour et de mort comme une tragédie antique ; Paloma le chante comme elle le vivrait, escortée par les contre-chants dramatiques du saxophone. Les trois autres reviennent à pas de loup, palmas et cajón jouent un rythme de martinete, silence.

Vicente et Paloma Pradal © Michel Laborde / Objectif Jazz

Une alegría composée par Rafael Pradal : le piano se mue en cymbalum, ruisselle de notes, la batterie attentive n’en fait pas des tonnes : juste ce qu’il faut là où il faut. Puis quelques chansons séfarades, deux morceaux sur des poèmes de Lorca (« Gacela del recuerdo del amor », sombre et grinçant) et Machado (« Una mañana serena »), une composition gouleyante de Padovani : « Almandraba » [3], où Rafael joue un peu à la façon de Chano Domínguez, entre flamenco jazz et montunos, et Laurent Paris fait presque fonction de basse. Le concert se termine joyeusement par deux rancheras drolatiques, puis un medley des chansons populaires collectées par Lorca : « Zorongo gitano », « El vito », « Anda jaleo » ; tandis que Vicente et Paloma duettisent à la tierce, sax, piano et batterie se répondent : jeu dans les cordes pour Rafael, harmoniques au soprano, Laurent Paris frotte le bord de sa cymbale sur la peau du tom. Rappel, « Los peces en el río », histoire de partir avec le sourire.

Nouvelle intersection du jazz et des musiques hispaniques, « Inmediato » est pour l’instant la démonstration que l’on peut marier les deux genres : le résultat est chaleureux, direct et communicatif. Mais peut-être, qui sait, verrons-nous ensuite des noces plus étroites entre la langue de Lorca et celle de Dolphy ?

par Diane Gastellu // Publié le 14 février 2011

[1Avec Carmen Linares en 1997, Monica Passos en 2000, Esperanza Fernández en 2002, et tout dernièrement avec l’Orquesta de Cambra de l’Empordà et la mezzo-soprano Marie Cubaynes.

[2La forme la plus ancienne du flamenco.

[3Du nom d’un village d’Andalousie.