Chronique

Irène

Nek

Sébastien Brun (dms), Clément Edouard (saxes, elec), Yoann Durant (saxes), Julien Desprez (g)

Après des débuts consacrés avant tout aux EP, disques courts qui cadraient parfaitement avec l’esthétique Do It Yourself des petites pochettes en kraft, l’aventure du label Carton continue avec des disques au format désormais plus classique. Il met en valeur une énergie faite de rock, de pop et de jazz qui palpite dans de ce creuset. Après le disque « canterburyen » de Gilles Poizat et l’énergie de Briciola, le dernier album des Lunatic Toys, voici le vaisseau-amiral Irène, dont on avait pu découvrir l’EP en 2011. Le quartet revient avec Nek (En coproduction avec Coax Records). Un album abouti et nerveux qui poursuit un voyage à la recherche de nouvelles dynamiques, dans les textures brûlantes de l’électricité.

Car la musique d’Irène est une griffure survoltée qui puise tout autant sa source dans le metal le plus cru que dans l’énergie d’une improvisation striée d’abstractions électroniques. Ce quartet extrêmement soudé est un carrefour d’énergies contraires qui se plaisent à s’enchevêtrer plutôt qu’à s’opposer ; ainsi dans « Voiture de Sport », au centre de l’album, toutes les énergies contenues convergent dans un flot libérateur. Cette musique urbaine aux relents industriels pourrait sembler bruitiste Mais ses structures sont aussi fugaces qu’indestructibles et patiemment bâties. Nek s’organise souvent en deux pôles qui se rejoingent dans la chaleur de la fusion. Si le saxophone de Yoann Durant, comme la batterie de Sébastien Brun, cherchent souvent à apprivoiser la dureté implacable de la guitare (Julien Desprez) et de l’électronique (Clément Edouard), c’est pour donner de la chair à un propos émacié mais véhément. Les échanges entre la batterie et le travail en profondeur d’Edouard font souvent des incursions dans l’univers de musiciens comme Aphex Twin ou Barry Smith, d’Add N to X, qu’ils confrontent avec bonheur aux fluctuations des musiques improvisées.

« Nek » : sur la rythmique impavide de Brun et le jeu de Durant, réduit à un simple souffle, vient peu à peu se greffer le chaos. Il se gonfle de nappes et d’accélérations soudaines qui ajoutent un surplus d’émotions instables. Il y a dans le lent fracas de la batterie, dans cette volonté d’ordonnancer le tumulte, comme une tension supplémentaire qui menace à tout moment d’enflammer la guitare. Comme dans Q, avec qui la proximité musicale est évidente, Desprez survolté donne à sa guitare une dimension physique. Elle devient presque charnelle quant elle se heurte à la formidable entropie électronique d’Edouard (« Huit »).

Mais la force des pôles est de savoir s’inverser. Dès « Bien Sûr », qui ouvre l’album et qu’on retrouvait sur le premier EP dans une version moins rageuse, et jusque sur « Gaybride », certainement le morceau le plus heurté par ces puissants flots d’énergie, c’est l’étincelle du saxophone qui embrase le quartet. Car même lorsque le groupe sonde quelque apaisement mélodique, l’effervescence des flux contraires insuffle dans sa musique une tension permanente absolument réjouissante. On se laisse porter avec délice par ce flot continu, ce mouvement capté par des musiciens attentifs et bouillonnants. On savait que Carton faisait de la musique en béton : attention, celui d’Irène est armé…