Harpiste adepte des conversations intimes et des univers musicaux comme châteaux de sable fragiles et ouvragés, Isabelle Olivier fête ses vingt ans de scène. Vingt années pendant lesquelles la curiosité et l’envie ont été les moteurs d’une musicienne qui n’a jamais voulu s’enferrer stylistiquement, préférant avec naturel explorer l’émotion et le plaisir du jeu. En soliste ou accompagnée, elle a su tracer un parcours singulier, notamment grâce à des musiciens devenus au fil du temps des compagnons de traversée, tels Olivier Sens (le magnifique Island #41) ou Marc Buronfosse, contrebassiste du Quintet Océan ou du Big Sea Band. La mer, toujours au plus profond de sa musique…
On retrouve tous ces amis sur Dodecasongs, le gourmand double album qu’Isabelle Olivier a conçu pour cet anniversaire. Pensé comme un carnet de route ou plutôt une carte du Tendre, il pérégrine dans son univers musical comme entre autant de petites îles, de réseaux d’archipels qui communiquent entre eux au gré des cordes. Qu’elle visite un « Downriver Bound » à fleur de peau en compagnie de David Venitucci ou un capiteux « Hypnotic » avec Beñat Achiary, elle a imaginé deux albums comme autant de jeux d’ombres. D’abord Tunes, qui s’emplit de couleurs et de fragrances, puis, en miroir, Songs qui fait place à la voix. L’exercice de la répétition des morceaux, instrumentaux ici et chantés là, est étrange, troublant parfois. Il souligne la construction méticuleuse d’un portrait à l’eau-forte confié à la direction artistique de Bojan Z.
Dodecasongs, c’est deux fois treize à la douzaine, comme les huîtres sauvages… Beaucoup contiennent des perles : « GPS » et ses chimères nostalgiques infusant une mélodie que la simplicité embellit encore, par exemple. En solo sur Tunes, la harpe évolue dans une ambiance marine et désincarnée (le morceau prendra une dimension plus charnelle sur Songs). Les accordéons de Thomas Beuf et David Venitucci comme la batterie très impressionniste de Fabrice Moreau y créent de nouveaux entrelacs, des routes inédites pour de nouveaux voyages. Partout on remarque l’attraction d’Isabelle Olivier pour les bases rythmiques très solides : Michel Benita et Peter Erskine sur « So Long » avec David Linx, ou Eivind Opsvick et Tommy Crane sur « ET », en compagnie d’Alexandra Grimal - un des sommets de ce disque.
Inutile de faire des allers-retours en comparant les versions au gré de ces instantanés captés en live. Comme sur My Foolish Harp, son précédent album, chaque morceau est un moment unique qui forme un tout cohérent, jusque dans ses déclinaisons. Bien sûr, selon vos goûts, vous préférerez la sobriété du trio de « Decasongs » (avec Marc Buronfosse et Fabrice Moreau) à sa version bossa (en compagnie de Mônica Passos et Joe Quitzke) ; qu’importe l’équipage, Isabelle Olivier est au centre et imprime sa direction, fait chanter sa harpe au gré des langages, joue avec ses infinies ressources comme autant de masques. Elle peut être sombre et onirique sur « Baïo », en duo avec l’électronique d’Olivier Sens, ou bien vous faire danser sur Aragon en compagnie de Sébastien Texier et Catherine Delaunay (« Nous dormirons ensemble », magnifiquement chanté par David Linx et Norma Winstone)… Isabelle brille, simplement. Dodecasongs s’en trouve tout illuminé.