Chronique

Isabelle Olivier

In Between

Isabelle Olivier (harp, comp), Julie Kaldin (fl), Hugo Pray (cl), Fraser Campbell (saxes), Raphaël Olivier (g), Thomas Olivier (p), Devin Gray, Enie Adams, Dré Pallemaerts (dms)

Label / Distribution : Enja Records

Si l’on n’y prend garde, In Between, le nouvel album de la harpiste Isabelle Olivier peut sembler très léger, voire un peu naïf. Le chant lyrique des cordes, la flûte aérienne de Julie Kaldin sur « Peruvian Lullaby », ce papillon qui déplie grand ses ailes pour oublier qu’il est éphémère. C’est joli mais un peu court, pense-t-on, une bluette passagère… Et puis l’on plonge tête la première dans « Potawatomi », qui convoque les esprits indiens chers à cette résidente chicagoane. Les rythmes complexes des percussionnistes Devin Gray, Ernie Adams et Dré Pallemaerts se mêlent aux cordes familiales qui unissent la harpe d’Isabelle et la guitare de Raphaël Olivier, son fils. Il y a comme un fil d’Ariane qui relie les folklores imaginaires et les histoires contées dans chacun des morceaux. Le propos est onirique, bien sûr, également rempli d’amour, mais il est beaucoup plus profond et rugueux qu’il n’y paraît. « A New World » est une rêverie qui n’a rien d’idyllique : le dialogue est apaisé entre la mère et le fils, serein mais jamais semé de platitudes. Il garde au contraire un délicieux air mutin que confirme la clarinette de Hugo Pray sur « Comment ça va ».

Le petit baron du précédent disque est descendu de son arbre et s’offre des vacances. Sur ses deux pattes, il déambule dans un jardin de cocagne : il garde sa curiosité intacte et décrit intérieurement tout ce qu’il voit. Les scènes qui se succèdent, les cris lointains et les sons d’ambiance qu’on devine sont là pour dérouler devant nous un petit film intérieur. Le récit prend racine en Amérique et atterrit à « Barbes », certainement le sommet de l’album où le piano de Thomas Olivier, son autre fils, vient apporter une voix, un angle supplémentaire à ce voyage en compagnie du saxophone de Fraser Campbell. Tout ceci peut parfois paraître brouillon, mais comme chez les peintres pointillistes, chaque détail, pris dans sa globalité et avec le recul nécessaire, dresse un paysage morcelé mais fidèle.

L’entre-deux que vante le titre d’un album qui s’est construit durant la résidence de la harpiste à la Villa Le Nôtre, on pourrait naïvement penser qu’il s’agit de l’Europe et de l’Amérique, entre lesquelles elle se partage et qui seraient symbolisées par cette grande plage-miroir qu’elle foule sur la pochette. Mais c’est bien plus que cela. C’est une liaison entre le sauvage et l’ordonné, entre la foule et le désert (« Lisière »), entre la quiétude et l’excitation. In Between est un exercice de style qui vante l’équilibre, le yin et le yang, une sérénité qui va de pair avec la liberté d’une musicienne qui livre un album très personnel, où elle s’est abandonnée, sans autres intermédiaires.