Ivo Perelman

Ivo Perelman est né le 12 janvier 1961 à Sao Paulo, Brésil. 56 ans aujourd’hui, dont trente à élaborer et peaufiner ce qu’on peut appeler le style Perelman. Intense et lyrique, fait de brisures suraiguës et de feulements rocailleux, il emprunte aussi bien aux musiques populaires brésiliennes (très présentes à ses débuts) qu’aux grands maîtres de l’instrument (Ben Webster, John Coltrane, Sonny Rollins), à la mythologie free (Shepp, Ayler) ainsi qu’à un certain minimalisme abstrait. Venu sur le tard au saxophone (à l’âge de 19 ans) après avoir étudié la guitare, le violoncelle, la clarinette et le trombone, il a tenté de dépoussiérer l’instrument notamment en expérimentant le jeu dans les aigus. Cette capacité à jouer vite, fort et longtemps dans ces tessitures étant assez incroyable.

The Art of The Improv Trio est un coffret de six disques joliment illustrés par des peintures du saxophoniste lui-même [1], enregistrés entre juillet 2015 et juillet 2016. Tous en trio. Une somme. Une de plus, tant la discographie de l’hyperactif ténor brésilien est pléthorique. Depuis le début des années 2010, Perelman semble avoir trouvé de nouvelles inspirations. Il a enregistré pas moins d’une quarantaine de disques depuis cette date [2], tous édités chez Leo Records, avec qui Perelman collabore depuis plus de vingt ans (depuis l’inaugural Sad Life paru en 1996 édité dans la collection défricheuse Leo Lab).

Mais à l’opposé d’un John Zorn, autre saxophoniste new-yorkais suractif (qui lui, a quasiment abandonné son instrument pour se consacrer uniquement à la composition), Perelman n’écrit pas. Tout son travail de musicien est voué à l’improvisation. Entouré de sa garde rapprochée, il se lance dans des improvisations majuscules à partir de presque rien. L’interaction entre les musiciens est épatante, chacun créant son propre espace tout en rebondissant sur les propositions de l’autre avec habileté et assurance. Ces musiciens, rompus aux joutes improvisées et fidèles au saxophoniste depuis de nombreuses années, permettent à Perelman de lâcher prise et de se focaliser uniquement sur son jeu. Puissant, lyrique, habité.

Cette somme témoigne également des recherches de Perelman autour de l’équation mystique du trio avec saxophone (popularisé en son temps par Sonny Rollins). L’instrumentation change, pas la musique. La batterie est omniprésente. On la retrouve sur les six albums sous les baguettes de Gerald Cleaver pour cinq d’entre eux et de Whit Dickey pour le dernier. Elle est la clé de voûte sur laquelle le saxophoniste échafaude sa musique. Économe ou foisonnant, furieux ou apaisé, docile ou divagant, Cleaver semble avoir la musique à sa main et guide ceux qui le suivent dans les affres de la page blanche, tel un phare rassurant. Perelman vient s’appuyer sur cette masse souple et mouvante pour lancer ses flèches empoisonnées. L’équilibre entre les deux musiciens est alors bousculé par un élément perturbateur : le piano de Karl Berger ou de Matthew Shipp, l’alto de Mat Maneri ou la contrebasse de William Parker ou de Joe Morris. Ce troisième protagoniste vient perturber la relation duelle entre le saxophoniste et le batteur et élargit considérablement le champ des possibles. Shipp ou Maneri pousse Perelman dans ses retranchements quand Morris ou Parker creuse plutôt le sillon du saxophoniste. Une certitude cependant : c’est l’urgence qui relie les six albums du coffret entre eux. Cette urgence presque vitale de se libérer de la musique qu’ils portent en eux.