Chronique

Jacob Young

Evening Falls

Jacob Young (g), Mathias Eick (tp), Vidar Johansen (cl b, ts), Mats Eilertsen (b), Jon Christensen (dr).

Label / Distribution : ECM

Jacob Young a un nom américain, mais il est norvégien ; il est né à Lillehammer, mais il n’est pas champion olympique de ski ; il joue de la guitare, mais ce n’est pas le chanteur pop homonyme… Alors qui est-ce ?

Jacob Young est l’une des dernières « trouvailles » que Manfred Eicher a dénichées au Bla Club d’Oslo. Pourtant Jacob Young n’est pas un nouveau venu sur la scène du jazz scandinave. Diplômé de l’Université d’Oslo, il part étudier à la New School For Jazz and Contemporary Music of Manhattan avec Jim Hall et John Albercombie. Il en sort en 1993 et entame aux Etats-Unis une carrière free lance qui l’amène à jouer avec Rashied Ali, Marc Copland… Rentré au pays, il enregistre deux disques sur des labels locaux, mais avec des musiciens d’ECM, comme Arve Henriksen, Christian Wallumrod… Mais c’est surtout son duo avec la chanteuse Karin Krog qui le fait connaître, d’autant plus que cette collaboration est couronnée par le disque Where Flamingos Fly….

Dans Evening Falls, Jacob Young est entouré, à la batterie, de Jon Christensen - qui, avec le contrebassiste Palle Danielsson, est l’un des piliers d’ECM depuis des lustres -, et de trois musiciens norvégiens moins connus sous nos latitudes, mais très actifs sous les leurs ! Mats Eilertsen, à la contrebasse, navigue dans les eaux de l’avant-garde nordique en compagnie de Food ou du Håkon Kornstad Trio. Vidar Johensen est un clarinettiste basse, saxophoniste ténor et flûtiste free, qui joue notamment avec Bugge Wesseltoft et le groupe Bayashi. Enfin, on peut rencontrer Mathias Eick, le trompettiste du quartet, sur la planète électro-jazz, avec Jaga Jazzist, où il joue également de la basse et des claviers.

Malgré ces parcours, pas la moindre trace d’électro-jazz dans Evening Falls, et peu d’envolées free. C’est avant tout un album de jolies mélodies, soignées et élégantes. Tous les thèmes ont été écrits par Jacob Young, à l’exception de « Presence of Descant », composé avec Jon Christensen. Dans l’ensemble, plusieurs points communs se dégagent, sans pour autant que l’on sombre dans la monotonie : énoncé des thèmes à l’unisson, improvisations léchées, tempo plutôt lent, sonorité ample et sans bavure.

« Blue », « Looking for Jon », « Sky », « Promises » - en trio guitare, contrebasse, batterie - et « Falling » collent exactement avec l’impression générale. L’introduction de « Promises » donne l’occasion d’apprécier le jeu de Mats Eilertsen, plutôt discret dans la plupart des autres morceaux. Dans « Looking for Jon » et « Sky », les solos de Young - dans l’esprit de Jim Hall - sont enlevés, et son phrasé est aérien. Si ces cinq morceaux sont frères, les trois autres sont cousins ! « Evening Air » est une très belle marche funèbre (ou nuptiale ?). Les roulements tantôt serrés, tantôt larges de Jon Christensen, le jeu discontinu des autres musiciens et la sonorité éclatante de Mathias Eick lui confèrent un caractère particulièrement solennel. Après une introduction efficace aux cymbales, « Minor Peace » semble encore être une mélodie simple et jolie, mais elle est développée avec un esprit free : un dialogue vif et croisé s’engage entre Eick, Christensen et Johensen, au ténor, avec lequel il a plus de présence qu’à la clarinette basse. Christensen, aux mailloches, donne beaucoup de profondeur et de puissance à « Presence of Descant ». Par ailleurs, la lente introduction de Jacob Young, relayée par un solo grandiloquent de Mathias Eick, accroît encore davantage la tension dégagée par le morceau.

On retiendra d’Evening Falls que Jacob Young est un compositeur de belles mélodies, Jon Christensen un batteur subtil et plein de verve et Mathias Eick, un trompettiste flamboyant, servi par une sonorité éclatante, un jeu agile et un phrasé d’une netteté impressionnante.

Pareil à un bon oreiller synthétique bien moelleux, ce disque ne fera éternuer personne, et sera doux pour toutes les têtes…