Chronique

Jacques Vidal Quintet

Fables of Mingus

Isabelle Carpentier (voc), Pierrick Pedron (as), Daniel Zimmermann (tb, tu), Jacques Vidal (b) Xavier Desandre-Navarre (perc, dm)

Label / Distribution : Cristal Records

« Tiens, v’la Mingus /J’ croyais qu’il était mort » (Claude Nougaro).
Un CD chasse l’autre. Comme il en est des « faits divers » ou des élections. Sauf les mémorables, évidemment. En voici un qui restera, je le prédis : Fables of Mingus, de Jacques Vidal. De ces disques qu’on réécoute, c’est à ça qu’on les reconnaît. Ils sont là pour durer, y a pas.

Soit une chanteuse et quatre musiciens hors pair qui s’attaquent au géant par la face plain son, celui qui chante et fait vibrer, en-chante les corps et frappe par l’esprit. Celui de Mingus plane au-dessus, sans dévotion de ses servants, admirateurs non serviles, interprètes inventifs, joueurs taquins et par-dessus tout fidèles en amour.

D’où la réussite de ces douze fables, pour la plupart reprises de Mingus lui-même. A commencer par les fameuses, dites « de Faubus », du nom de ce gouverneur de l’Arkansas synonyme de ségrégation raciale. En fait, au départ, un Démocrate – de gauche – et même militant anti-ségrégationniste qui, soudainement, vire de bord pour devenir le plus farouche opposant à l’intégration des Noirs… Donc, pas vraiment un pote à Mingus, qui lui taille un costard sur mesure(s). Et l’album démarre sur cette harangue musicale, aussitôt après « La Peur du Noir », texte de et par Isabelle Carpentier, composition de Jacques Vidal.

Nous voilà prévenus. L’heure est grave. Et au grave. L’affaire est lancée, allant du noir vers la rage poétique, comme le jour s’arrache à la nuit. Irruption des couleurs « mingusiennes » : l’alto délié de Pierrick Pedron ; percu-batterie de Xavier Desandre-Navarre (deux en un, fameux) ; trombone et tuba de Daniel Zimmermann pour les basses cuivrées emballant les cordes « vidaliennes » qui se lovent dans les vocales d’Isabelle C. Laquelle ose et réussit en langue de Molière, par exemple sur le « latin » de « Pithecanthropus Erectus » : « Quand il s’est mis debout / Il est devenu fou ». Darwin n’aurait jamais osé… Récidive avec ce portrait du « maître » brossé sur fond de « Willow Weep For Me » – ode au Duke – où le raccourci sur une vie de chien gronde comme une menace – « Ma musique est une émeute ». Se souvenir de celles - les émeutes - de Little Rock, 1959. Gravité, gravitation de l’homme, plus encore que du bassiste ; ou du moins l’un et l’autre identifiés, assimilés, magnifiés. Ce que réussissent à merveille Vidal et sa bande en osmose. Beau, que dis-je, magnifique !

PS 1 : Ça sent le retour à Mingus, comme aux fondamentaux. Voir absolument le précieux film que lui a consacré Laurent De Wilde (La Nuit, Arte) ; je m’étonne toutefois qu’il ne dise rien du pianiste Mingus… En remettant le nez dans Moins qu’un Chien, l’autobiographie du contrebassiste, je tombe là-dessus, p. 164 : « C’est marrant. Chaque génération découvre des trucs qui traînent au grenier et elle s’imagine avoir inventé du neuf. »…

PS 2 : Le Moulin à Jazz de Vitrolles ne manque jamais de flair : Charlie Free y programme le Jacques Vidal Quintet ce samedi 26 novembre 2011. À bons entendeurs… !

PS 3 : Prise de son impeccable (Vincent Mahey). Graphisme de l’album : Jérémy Soudant – c’est aussi l’affichiste du Charlie Jazz Festival de Vitrolles…