Chronique

Jan Schumacher

Trapèze

Jan Schumacher (tp, fgh), Richard Turegano (p), Yoni Zelnik (b), Frédéric Chapperon (dms), Emilie Lesbros (voc), Gueorgui Kornazov (tb), Issa Mourad (oud)

Label / Distribution : Autoproduction

Jan Schumacher traverse avec cette formation à géométrie variable de nombreux territoires sonores qui ont pour particularité commune de faire cohabiter un lyrisme ouvert à tous les vents et une motricité constamment entretenue par une section rythmique solide. La musique est ponctuée de lignes orientales, mais c’est un folklore bien à lui que met en son ce trompettiste, son petit monde onirique, où le quartet joue les compositions avec l’intensité d’une formation de bop lancée dans le jeu collectif. Toutefois, le jazz est envisagé ici comme une manière d’interagir, de faire circuler la musique, plutôt que comme idiome en soi. Schumacher s’appuie largement sur les flux d’énergie engendrés par le dialogue effréné entre les excellents Yoni Zelnik et Frédéric Chapperon pour laisser s’épanouir un discours aux accents délicieusement languides. Sonorité ouatée et attaque peu marquées donnent à ce phrasé inventif une certaine nonchalance, contrebalancée par la rectitude pulsatile et l’engagement physique que l’on perçoit ça et là, par exemple sur l’énergique « Fenouil ». Le piano de Richard Turegano donne de la cohérence à l’ensemble et assure constamment le lien entre l’assise rythmique et l’exposé mélodique.

A ce quartet viennent s’ajouter selon les plages les chants sans paroles d’Émilie Lesbos, le trombone de Gueorgui Kornazov ou le oud d’Issa Mourad. Ces invités interviennent sur plusieurs morceaux et se croisent entre eux, si bien qu’on croit entendre un septet dont certains membres s’effaceraient de temps en temps plus qu’un quartet « augmenté » tant leur impact sur la plastique de la musique est évident. Ce disque ne serait plus le même sans le chant, à qui sont confiés des épisodes importants, telle la magnifique introduction de « Sillage ». Lesbros y entretient avec Turegano une conversation qui, au départ bruitiste, se concrétise pour aboutir au motif rythmique qui sous-tend le reste du morceau. Avec le pianiste et Schumacher lui-même, elle s’amuse à rendre labyrinthique le titre « Zweifel » en dupliquant et décalant la phrase-thème, pourtant simple en apparence.

Kornazov, quant à lui, influe non pas sur l’architecture des titres mais sur leur intensité. Son souffle fait des ravages à chaque apparition, mais on peut isoler son solo sur « Umwege », bien représentatif de sa capacité à entraîner le groupe dans son sillage. « Vicomte » doit pour partie sa puissance à la présence du tromboniste et son apport dans la masse orchestrale. La présence d’Issa Mourad équilibre la musique d’une autre manière : en l’ancrant davantage dans la tradition orientale. Sur « Le Stix », il éclaire d’une lumière ambrée les lignes des autres instruments, se calant tour à tour sur la contrebasse, la trompette ou le piano avant de prendre un solo magnifique. Toutes ces contributions, ces présences qui vont et viennent, apportent à Trapèze autant de cohésion que de diversité.

La thématique du voyage est ici omniprésente, entretenue par le mouvement inhérent à la musique comme par les influences multiculturelles des artistes. Le groupe se tient toutefois éloigné des exotismes faciles ; il reste centré sur l’improvisation et le jeu collectif, ne laissant à l’auditeur d’autre choix que de partager son enthousiasme manifeste. Précisons que le disque s’accompagne de la captation vidéo d’un concert donné sur la péniche L’Improviste en 2012. Le quartet accueillait ce soir là Gueorgui Kornazov. Une raison supplémentaire, s’il en fallait, de saisir au vol ce Trapèze réussi.