Scènes

Jazz In Marciac : une jacquerie pour les 40 ans ?

Compte-rendu éminemment subjectif, partiel et parental de la soirée emblématique du quarantenaire de JIM !


Jérome Etcheberry et la tête de contrebasse de Pierre Boussaguet (Louiza Dussutour)

Que n’a-t-on dit de cette bastide gersoise devenue l’un des épicentres du jazz mondialisé ? Si l’on espère toujours que quelque anthropologue se saisisse de la question, avec un zeste d’humour évidemment, l’exercice du compte-rendu d’un tel événement n’en reste pas moins un passage obligé pour le chroniqueur qui bénéficie des largesses de l’organisation.

Car de l’organisation il en faut pour un festival où tout se conjugue au superlatif. Et il faut de la sé-cu-ri-té ! Comprenons qu’en ces temps de disruption globalisée on ne lésine pas avec le déroulement serein des concerts, pour que le public adhère pleinement à la convivialité gasconne, que ce soit sur la place centrale du village ou bien sous le chapiteau. Faut-il pour autant autoriser des comportements limite de la part d’agents d’une entreprise privée allant jusqu’à faire vraiment peur aux enfants, dans leurs uniformes noirs sertis d’un pin’s orné de quelque rapace dont on se doute qu’il ne s’agit pas d’un gypaète ? Et que dire de la « jauge » pour les sacs personnels ? Dix litres mesurés à partir… d’une caisse de vin de Saint-Mont ? Il y a là un vague rappel de l’octroi médiéval. Marciac est certes un fief du jazz. Faut-il pour autant laisser s’y développer les réminiscences d’une seigneurie d’antan ?

Heureusement, les musiciens présents ce soir-là sont là pour nous faire zapper ces temps disruptifs et néanmoins néo-médiévaux ! Ainsi le septet de Pierre Boussaguet en hommage à Bill Coleman (le trompettiste qui anticipa le bebop, n’en déplaise aux cuistres qui le cataloguent trop souvent « trad ») et Guy Lafitte (le mythique saxophoniste toulousain). Une équipe multigénérationnelle emmenée par le maître contrebassiste occitan (ici aux accents « ron cartériens » plus que « ray browniens ») rendant hommage au plus gascon des trompettistes américains donc, en première partie du set. Jérôme Etcheberry, Basque de service à la trompette, prend des chorus subsumant la trame colemanienne (au sens de Bill), cependant qu’aux anches, André Villéger (sulfureux) et Stéphane Guillaume (ensorcelant) notamment, rivalisent d’inventivité sous la houlette du bassiste. Quelques anecdotes bien senties émaillent le concert : ainsi de Guy Lafitte qui aurait dit de Villéger « c’est qui ce jeune qui marche sur mes plates-bandes ». Dans cet antre du foie gras, pas un canard ne fut de la partie ! Jusque dans un finale convoquant les mânes de trompettistes et saxophonistes d’anthologie (esprit de Dizzy es-tu là ?).

Un moment d’intense émotion pétrit Wynton Marsalis et le chapiteau lors de la lecture de son texte d’hommage aux 40 ans du festival-village globalisé dont il est le parrain. Cécile McLorin Salvant est là pour assurer la traduction simultanée, cependant que le trompettiste américain fond en larmes. Rassurons-nous : sa statue n’est plus sur la place de l’église. Justement, loin de figer des formes présumées classiques des notes bleues, le Jazz At Lincoln Center Orchestra dont il est fondateur propulse les archaïsmes de ces dernières dans une dimension éternelle (ne serait-ce que par les axes croisés batterie-piano/trompette-contrebasse, surprenants de créativité). Et, loin d’être quelque Pygmalion que ce soit, Marsalis se laisse entraîner par la voix exquise de la jeune chanteuse dans un tourbillon créole, cette dernière faisant preuve de la maturité que l’on sait, entre humour et gravité… jusque dans la livraison d’un « Supercapitalism » plus manifeste que jamais. Car oui, les cats présents sur scène ce soir-là sont l’un des antidotes les plus efficaces qui soient à l’aliénation générée par le règne de la Marchandise - et ils le savent ! Et quand Boussaguet revient sur scène avec sa contrebasse pour jammer avec les Ricains, croisant le fer - si l’on peut dire - avec Carlos Enriquez (le bassiste titulaire du JALCO), ça palabre, ça se chambre, comme dans une forme de communisme originel que le jazz ne cessera jamais d’être.

Et l’on se dit joyeusement que, comme dans tout fief, s’appellerait-il Marciac, c’est la jacquerie qui l’emporte… sous la bannière du Seul Jazz. Un signe de vitalité donc pour ces quarante ans !